L’âge de la maturité, terme éculé s’il en est, a bel et bien sonné pour l’hyper sensible Trevor Powers. Virage délicat bien négocié sur ce troisième album.


Clamons le haut et fort, le premier album de l’Américain Trevor Powers alias Youth Lagoon est un classique de pop moderne. Repéré par la blogosphère puis signé en 2011 sur le label Fat Possum, Youth Lagoon sortait la même année The Year of Hibernation et son étrange « pop d’entonnoir » qui ne ressemblait alors à rien de connu. Une fascinante percée dans les songes à la fois doux et inquiétant, de son géniteur solitaire, où se fondait candeur psychédélique et nappes électro(niriques). Un disque hors-norme et introspectif, enregistré dans des conditions tout aussi particulières et précaires –en utilisant notamment les réverbes naturelles d’une salle de bain et d’un garage. Dès son premier coup d’essai, Youth Lagoon accouchait ainsi d’un chef-d’Å“uvre de notre époque dématérialisée, période où il devient pourtant de plus en plus difficile d’en identifier, tant ici-bas tout est désormais voué à être éphémère.

Trevor Powers, 26 ans aujourd’hui, sait pertinemment qu’il serait désuet d’enregistrer une suite à The Year Of Hibernation. Déjà sur son très beau deuxième opus, Wondrous Bughouse paru en 2013, il tâchait de s’en éloigner en faisant le grand saut de sa chambre d’adolescent au studio professionnel. Malgré tout, quelques traces de ces rêveries persistaient, notamment dans cette voix frêle qui nous renvoyait à un Mark Linkous en pleine crise d’adolescence, et par quelques thèmes aussi, tel la peur de la mort.

Aujourd’hui, la rupture est officialisée. Les récentes photos promotionnelles nous présentent un Trevor Powers asexué, maquillé débarrassé de ses lunettes, désormais à mille lieux de son apparence timide. Son troisième album, Savage Hills Ballroom, co-produit par Ali Chant (PJ Harvey, Perfume Genius) et enregistré à Bristol en Angleterre, est aussi le disque de l’exile. Adulte désormais assumé, Trevor Power se détache de Youth Lagoon, et en même temps, il nous revient plus hanté que jamais. Douce ironie du nom qu’il porte, Trevor Powers tire sa force de sa fragilité, de son hyper sensibilité. Savage Hills Ballroom en est son vibrant reflet.

Avec ce troisième album, le petit monde psyché de Youth Lagoon s’écroule, pour reconstruire à la place une tour baroque, sombre et vertigineuse. Propulsé par une batterie un peu bourrine, « Officer Telephone », qui ouvre ce « bal sauvage », est une entrée en matière épique inhabituelle pour qui connait l’univers chimérique et anxieux du protégé du label Fat Possum. Ce réveil brutale est sa manière de se faire entendre, ou plutôt de ne plus se cacher. Clairement sur ce troisième opus, Trevor Powers dévoile sa part sombre en drape d’un voile noirâtre et épais ces mélodies. Premier choc du disque, « Highway Patrol Stun Gun » se met en place sur un thème basique et répétitif au synthétiseur sorti tout droit d’un thème de John Carpenter, pour verser finalement dans une mélancolie subtile, égrenée de quelques notes rêveuses au piano et des violons classieux. « Again », est un étrange gospel trip hop sur fond de guitares stridentes (l’influence de son séjour à Bristol ?). L’ambiance brumeuse s’installe plus loin sur « No One Can Tell » avec des nappes robotiques, même si le titre est le moins convaincant du bal.

Toutefois , au détour de ses pièces lugubres, lorsque perce une étincelle, elle irradie de mille feux ses mélodies. Sur le somptueux instrumental, « Doll’s Estate », Trevor Powers n’a jamais été aussi bouleversant. Devenu Petit prince noir de la pop song exutoire donne le vertige sur les sublimes ballades « Rotten Human », « The Knower » et ses trompettes enivrantes, et surtout l’immense « Kerry ». En nous conviant à son grand bal sauvage, Youth Lagoon sort de son cocon psyché pour éclore de la plus belle des manières.

Youth Lagoon sera en concert au café de la Danse à Paris, samedi 27 septembre