Tout semble tellement simple pour Vampire Weekend : une grosse sensation dès le premier album, une aisance habile pour mélanger les épices du monde entier, ces New-Yorkais aux (fausses) dents longues réussissent même leur second album. Deuxième contrat parfaitement rempli.


Le rock new-yorkais n’est jamais aussi passionnant que lorsqu’il puise son inspiration dans l’effervescence de la rue, sa jungle urbaine, terrain d’un fabuleux melting-pot. Ce gigantesque brassage des cultures a donné lieu à quelques unes des plus audacieuses aventures musicales de la Grande pomme — Talking Heads, Liquid Liquid, ESG, le Graceland de Paul Simon, et pas très loin derrière nous TV on The Radio, Santigold ou Yeasayer. L’un des derniers héritiers de cette lignée, Vampire Weekend, dissout les frontières de la pop avec une aisance déconcertante.

Les origines iraniennes de Rostam Batmanglij et juives d’Ezra Koenig scellent à elles-seules une alliance détonante. Encore faudrait-il chercher ailleurs les nombreuses sources musicales du groupe, imprégné bien sûr de new wave et de pop anglaise, mais qui prospecte avec autant d’importance vers l’immense continent africain et ses compilations pop à guitares de Madagascar que vers la Jamaïque. Sur leur premier album éponyme, cette musique lumineuse et hybride parvenait à semer les GPS des critiques, tous déboussolés par ces sacrés « soukouss » rythmiques (“Cape Cod Kwassa Kwassa »), par une pop canonique digne de Zombies (“M79”) ou un tempo punk binaire enluminé de cordes (“One (Blake’s Got A New Face)”).

Deux ans après ce disque qui a réussi à décrocher la timbale (à défaut du lustre sur la pochette), le quatuor débridé revient au front avec un album au nom militant, Contra. Une référence au mouvement rebelle opposant du FSLN du Nicaragua (Frente Sandinista de Liberacion Nacional) et un hommage non moins masqué au triple album insurrectionnel de The Clash, Sandinista. Si Contra se veut moins aventureux que le disque over « dubbé » de la bande à Joe Strummer, il n’en demeure pas moins un modèle d’ouvrage dévergondé, inventif et ultra-efficace. Dans un format encore plus concis que son prédécesseur (10 titres, 36 minutes), Ezra Koenig (chant /guitare), Rostam Batmanglij (claviers), Chris Baio (basse) et Christopher Tomson (batterie) alignent une rayonnante collection de frondes pop additives, sans faiblesse ni temps mort.

D’évidence, il y avait suffisamment de matière à développer sur le premier album pour que le quatuor choisisse de continuer à percer dans cette voie. Ses fondations installées, Vampire Weekend peut maintenant creuser son caractère, ce qu’il parvient ici à faire sans laisser traîner une once de redondance. Si l’on retrouve quelques envolées de clavecins sur “Taxi Cab”, l’usage qui en est fait est tout autre cette fois et s’incruste dans une étonnante valse synthétique minimaliste, dénuée de section rythmique. Sur l’inaugural “Horchata”, le chant d’Ezra Koenig emprunte un phrasé orientalisant pris dans une déferlante de synthétiseurs et percussions tribales. Règle d’or pour ces musiciens habiles et expérimentés, chaque composition se doit d’être une boîte à surprises inépuisable. Le très efficace “Run”, d’ores et déjà un classique sur scène (entendu à Rock en seine cet été), est un tourbillon exotique qui emporte l’auditeur dans de malicieux scénarios et retournements rythmiques. On n’a pas encore fini d’évoquer Graceland à leur sujet, mais ils le cherchent bien, comme sur les refrains « Aooo » du virtuose “White Sky”, tribal et vibrant. Autre écho agréable qui nous revient, le single “Cousins” mène des accélérations “psycho killer”, digne du meilleur des Talking Heads. Les Vampire Weekend n’ont pas leur pareil pour superposer différentes nuances qu’on supposerait ne pouvoir s’accorder (la chaleur afro-pop avec le froid post-punk), en faire surgir l’inattendu, une harmonie bariolée et mélodieuse, un motif accrocheur. Une écriture aussi concise qu’ouverte aux multiples possibilités.

Enfin, l’une des grandes qualités de Vampire Weekend est d’élargir l’horizon de certains de ses fans. A eux d’aller chercher l’origine de ces guitares au groove rafraichissant. A l’heure actuelle, les quatre garçons de Brooklyn n’ont que faire d’enregistrer leur Kid A, ils ont encore dix ans pour ça (s’ils le souhaitent bien entendu). L’heure aujourd’hui est à la pop suprême, métissée et intelligente, et il faut leur rendre grâce pour ça. Contra ou la possibilité de sublimes dérèglements pop transfrontaliers.

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