Il faut imaginer. A la fin du Décaméron, le cinéaste italien Pier Paolo Pasolini jouant lui-même le rôle de Giotto, le fameux peintre du Trecento, se dit, presque sous le ton d’un aveu : «Pourquoi réaliser une oeuvre, alors qu’il est si beau de seulement la rêver ? ». C’est cette fresque imaginaire que propose les autrichiens de Tupolev, l’oeil écoutant le récit muet et l’esprit rêvant les souvenirs de Björn Bolssen. Ces derniers sont éparpillés, défragmentés, comme les pièces d’un appartement que l’oreille traverse. Les morceaux, comme les pièces, communiquent entre eux, mais c’est toujours une ombre différente qui les hante : de petites notes de piano qui se dissipent (“8.83”, “Short Reminder”), un long geste méditatif (“Garlic 07”), une tension contrôlée à merveille (“Scale of gasps”), des mouvements saccadés (“Rnd2”), un jeu puissant (“Reaset”), une délicieuse légèreté (“Mohavedi”). L’oeil admire la maîtrise de l’harmonie, l’agencement des temps morts et rythmés où tous ces fragments se donnent comme un lieu de passage ; car c’est une absence qui structure l’album, lui donne sa « couleur » et sa dynamique. Tupolev, déjà avec ce premier album, arrive à ouvrir la musique, dissoudre ses formes, à l’enlever de sa torpeur. Inutile d’essayer d’en savoir plus sur le dénommé Björn Bolssen, dont le regard sur la pochette est fixé à jamais ; car c’est quand les mains se crispent et l’écriture s’arrête que commence sa véritable histoire.

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