Trois ans après Wagonwheel Blues, le groupe de Philadelphie sort des rails pour bifurquer sur les routes de Springsteen et Suicide. Fascinante B.O. atmosphérique d’un road movie pas encore tourné.


Dans le sillage de la séparation amicale entre Will Sheff (Okkervil River) et Jonathan Meiburg (parti se consacrer à Shearwater), nous guettions fébrilement la tournure que prendrait ce second album de The War on Drugs… sans Kurt Vile. Après l’americana en combustion de Wagonwheel Blues (2008), le groupe d’Adam Granduciel allait-il souffrir du départ du « Childish Prodigy » – qui on le sait (en tout si cas vous lisez régulièrement ce webzine !) mène aujourd’hui une passionnante carrière solo ? Rassurons les addicts du premier album, Slave Ambient balaye toutes nos inquiétudes. Mieux, il confirme les espoirs portés en cette formation hors-norme.

Le titre de ce second album ne prendra personne en défaut : le son hypnotique du trio a incidemment pris de l’ampleur, repoussant les frontières ambient esquissées sur un pourtant déjà impressionnant premier album. Le road trip de Wagonwheel Blues tracé sur les vieilles cartes de Bruce Springsteen (ici période Tunnel of Love, superbe album sous estimé du Boss) traverse, sur ces douze nouvelles compositions, des zones fumigènes de plus en plus épaisses, comme échappées du pot d’échappement toxique des Spacemen 3 et de Suicide. Roulant sans aucune visibilité au cœur de ce dense brouillard atmosphérique, l’auditeur risque le choc frontal à tout moment. Mais c’est aussi ce danger inconnu qui captive sur Slave Ambient. Sur les virées obsédantes “Your Love Is Calling My Name”, “City Reprise” et l’instrumental “Come for it”, les nappes synthétiques brûlent sur le bitume, donnant l’illusion de se dilater, se déformer tel un mirage sous l’effet du soleil.

En première piste, « Best Thing », rassure d’emblée sur la confiance acquise par le trio : dénuées de refrain, les mélodies sont pourtant directes et très abouties, la voix mélancolique de Granduciel s’épanchant gracieusement. The War on Drugs écrit des pop songs étranges, addictives, réminiscences d’un rock nostalgique, et pourtant incroyablement modernes. L’étrange twist « Baby Missiles » sonne comme un classique oublié, moiré de claviers kraut. C’est aussi le cas de l’obsédant « It’s Your Destiny », qui semble vouloir à tout prix maintenir un état de flottement plaqué sur un tempo binaire inaltérable, alors que nous sommes d’évidence très proche d’une pop song.

Il est connu que la concurrence est un excellent stimulant : aussi il ne faut pas négliger la relation artistique entretenue entre Adam Granduciel (guitariste des Violators) et Kurt Vile. Les univers de chacun possèdent, de ce fait, de nombreux points en commun, dont l’héritage du rock américain et les bidouillages en tous genres. Et même si la carrière solo de Kurt Vile a pris actuellement un envol plus rapide, leur collaboration perdure – il joue de la guitare sur deux morceaux de Slave Ambient. Pour saisir le degré de complicité entre Kurt Vile et The War on Drugs, il suffit d’entendre leurs paroles : le mot « freeway » (autoroute) revient pour accompagner leurs paysages sonores. Même si on ne connait pas la destination finale de cette « autoroute », les grands espaces sur lequel conduit Slave Ambient se doivent d’être empruntés.

– The War on Drugs sur Secretly Canadian

– Ecouter The War on Drugs – « Your Love Is Calling My Name »

– The War On Drugs – « Baby Missiles »