Après sept années de tournées inlassables, de concerts mémorables et quelques chansons passées à la postérité, The National continue de perfectionner son travail au corps et encaisse avec panache.


C’est une relation fidèle, intense et indéfectible, qui nous lie à Matt Berninger, les frères Dessner et Devendorf. On éprouve une certaine forme de respect à l’égard de ces vaillants gaillards, à l’image de ces secouristes auxquels on confierait notre vie en péril avec une confiance aveugle. Depuis Sad Song for Dirty Lovers en 2003, le quintet originaire de l’Ohio refugié à Brooklyn depuis 10 ans n’a cessé de répandre ses bonnes ondes de plus en plus loin à travers le globe. Groupe de scène à la générosité ébouriffante, The National a l’immense mérite d’avoir acquis son rang à la dure, en entrant par la petite porte, puis en gravissant pas à pas les marches d’une renommée amplement justifiée. Il est désormais établi que The National fait partie de ces formations qui comptent dans le paysage rock actuel. Il fait bon vivre dans notre monde tant que des groupes comme eux existeront.

Le succès quant à lui, cette vipère injuste, ne leur a pas tout à fait encore rendu ce qu’ils ont offert au centuple à leur public. Fatalement, on devient alors exégète et très susceptible à leur sujet : dans un monde idéal, le quintet trentenaire devrait remplir des stades au lieu de salles de taille moyenne. A chaque venue en France, les héros New Yorkais traverseraient en bus les champs Elysées, encensés par une marée humaine. Oui, on peut se prendre à rêver…

Deux ans après l’acclamé Alligator, ce quatrième opus ne renonce pas. Le rock incandescent de The National n’a pas vraiment changé sa donne, et en même temps, ce serait mentir. Les détails semblent infimes, mais il se trame tellement de choses dans ces chansons à la dérive privilégiant l’emphase qu’il faut un peu tendre l’oreille pour bien percevoir leurs subtilités. La production, laissée aux soins de l’indévissable Peter Katis (Interpol), à indéniablement pris de l’ampleur. Bryan Devendorf a retiré les derniers coussins coincés dans sa grosse caisse, et croyez-moi, lorsqu’il est en colère, la terre tremble fort ! A contre-temps de cette descente rythmique en flamme, le son, panoramique, crève l’écran. Il confère aux treize titres, une fluidité, une cohésion sereine, que l’on n’avait peut-être pas encore entendues jusqu’ici de bout en bout sur leurs disques. Quelques invités se sont immiscés durant l’enregistrement : Sufjan Stevens apporte un peu de son sens de la perspective sur deux titres (« Racing Like a Pro » et « Ada »), Thomas « Doveman » Bartlett a rajouté quelques parties de claviers et leur voisine New yorkaise Marla Hansen pose quelques choeurs discrets. Mais parmi ce contingent d’éminents collaborateurs, ce sont les arrangements pour violons et cuivres beaux à pleurer de Padma Newsome, partenaire de Bryce Dessner au sein de Clogs et contributeur régulier du groupe depuis Sad Songs for Dirty Lovers, qui tire à nouveau son épingle du jeu. Ses partitions sont devenues partie intégrante du processus émotionnel du groupe. A son contact, les compositions du quintet deviennent légères, contemplatives, filent comme l’air, gracieuses…

En contrepoids, la voix grave et habitée de Matt Berninger exorcise notre âme dès “Fake Empire”. On est pris à la gorge par ce chant acculé par le doute et les émois intimes. « We’re half away of this fake empire » (trad : on est à mi-chemin de cet empire de toc) nous lance-t-il, résigné, et ça nous retourne. Parolier sensible, ses mots sont d’une précision et d’une justesse sans faille lorsqu’il s’agit de dépeindre la détresse du quotidien. Mises en musique, les phases de retraite telles que “Racing Like A Pro”, “Green Gloves” ou le bouleversant “Star a War”, font l’effet d’un manège fantôme : statique alors que la terre tourne autour de nous, on est progressivement entraîné dans ce tourbillon mélancolique, impossible de reprendre pied tant que le manège ne s’est pas disloqué.

La précipitation post-punk se fait plus rare, mais lorsqu’elle reprend ses droits, The National se relève, investi, passionné (« The Appartement Story”, du U2 filtré, ridiculise une fois pour toute la bande à Bono). “Mistaken For Strangers”, peut-être leur déclaration rock la plus dévastatrice à ce jour, est un règlement de compte en bonne et due forme : sous le sceau des guitares menaçantes de Aaron Dessner et Bryce Dessner, The National manipule nos peurs, nous prend par les cheveux pour nous plonger la tête dans la baignoire, attendre la dernière seconde d’asphyxie pour soudainement nous sortir de l’eau, à la limite de la syncope. Et cette séance de choc est réitérée à plusieurs reprises… Suffocant d’émotion.

Finalement, le Boxer de The National, ce serait peut-être celui de Paul Newman dans Luke la main froide, ce bagnard magnifique qui lors d’une séquence de lutte mémorable mord la poussière face à un adversaire trop fort. Après chaque déroute de plus en plus sévère, il se relève à demi-mort face à son bourreau. Luke mène un combat perdu d’avance, contre le système, contre lui-même, et pourtant, c’est avec ce geste désespéré, sans happy end, que l’histoire s’écrit. Celle de The National aussi. Et on en redemande encore…

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– Boxer, le site spécial

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