Troisième excursion dans les contrées « afrodisiaques » de la kora pour le normand Yann Tambour, en compagnie d’Eloïse Decaz de Arlt, et Amaury Ranger de François And The Atlas Mountains.


Sur le précédent disque de Stranded Horse, un 45 tours paru en 2012, l’auteur-compositeur, arrangeur et interprète Yann Tambour reprenait le cérébral “Transmission” de Joy Division. Une nouvelle démonstration de son attachement à ses premiers amours pour le rock anglo-saxon, après sa reprise des Smiths, “What Difference Does It Make” sur son remarquable second album Humbling Tides (2011).

Le choix de ces morceaux emblématiques pourrait paraître anecdotique venant de n’importe quel groupe de rock, à la différence notable -pour ceux qui l’ignorent – que Yann Tambour les interprète avec un kora, son instrument de prédilection depuis 2007. Car avant de s’enticher de cet impressionnant instrument à cordes originaire de l’Afrique de l’Ouest, Yann Tambour s’illustrait sous le projet Encre, où il creusait une vision musicale plus austère, mêlant violons et textures électroniques sous l’influence d’Alain Bashung et Dominique A. La surprenante fonte musicale qu’il opère alors en 2007 avec le rayonnant et nomade Churning Strides, lui ouvre – au-delà d’une courageuse remise en question artistique – une nouvelle carrière, acoustique et aventureuse, qui le mène jusqu’en Afrique aux côtés du musicien malien Ballaké Sissoko. Il s’ensuit avec ce dernier une tournée commune à travers l’hexagone et la parution d’un maxi vinyle.

Pour ce troisième opus, intitulé Luxe, le musicien originaire de Normandie poursuit son métissage musicale vers de nouvelles destinations et collaborations, au gré de sessions enregistrées à Dakar (Sénégal), Paris et Nantes. Le cercle s’est agrandit avec notamment la participation active de Boubakar Cissokho, disciple virtuose de Ballaké, aux arrangements de cordes le trio Vacarme (les violonistes Carla Pallone et Christelle Lassort, le violoncelliste Gaspar Claus, que l’on a déjà croisés sur les albums de Rover et Camille), ainsi que la sémillante chanteuse Eloïse Decazes du duo Arlt présente en duos sur deux titres. On y croise aussi aux percussions Amaury Ranger de François And The Atlas Mountains, autre musicien nomade habitué à prendre les chemins de traverse.

Ces émulsions collective, ainsi que le fruit de ses récents voyages (en Europe Centrale, en Russie, au Japon, en Chine et en Afrique du Nord) ont évidemment pour motivation d’élargir une fois de plus le champs sonore de Yann Tambour, tout en les digérant dans ses racines rock. Un élargissement des frontières qui pourtant ne s’entend pas forcément d’emblée sur Luxe – du moins en regard des deux précédents albums. Peut-être du fait de son approche live et minimaliste, et en prenant grand soin de ne jamais sonner encombré, l’album déroule subtilement l’étendu de ses richesses au fil des séances d’écoute. En premier lieu sur les duos “Monde” et “Refondre les hémisphères”, où Eloïse Decaze, apporte sa folie douce, faussement sage mais totalement habitée. Quelques pincées de krautrock aussi sur le limite burlesque “A Qui Dois-tu Montrer les Dents ?” ou encore une étonnante relecture de “My Name is Carnival”, du folksinger maudit Jackson C. Franck, présenté dans un étonnant plat aux saveurs exotiques. Autre surprise, “Ode to Scabbies” avec sa mélodie hispanisante évoquant Love en mode afro.

”A Faint Light”, chanté en anglais, d’une voix quasi-méconnaissable par Yann Tambour (il a gagné en assurance sur ce plan là), derrière son côté folk traditionnel pas vraiment identifié, met en marche une rêverie épurée, dont les vibrants arpèges de kora – au son quelque part entre harpe et luth – se développent sur huit minutes. Une belle fuite en avant. Même en s’éloignant toujours plus loin ou en jouant collectif, Stranded Horses n’a jamais été aussi intime. Et c’est là tout le charme paradoxale de ce disque.