En refaçonnant les panoramas eighties, la formation folk/rock sophistiquée d’Austin ne s’est jamais autant reproché de Talk Talk. Décollage réussi.


Après nous avoir transporté dans des îles lointaines (la formidable trilogie Palo Santo / Rook / The Golden Archipelago) ou encore avoir rendu hommage à ces confrères nomades sur un excellent album de reprises, Fellow travellers (2014), le texan Jonathan Meiburg (qui partage sa vie entre la musique et son métier d’ornithologue) nous invite cette fois avec Jet Plane and Oxbow, huitième album de son groupe Shearwater, à un voyage dans le temps. Celui très tendance des années 80, décennie marquée de l’esthétique synthétique rétro-futuriste. Pour opérer cette délicate mue sonore, la formation indie folk-rock a cette fois sollicité les services du compositeur et percussionniste Brian Reitzell. L’homme, inconnu du grand public, s’est pourtant distingué sur les BO de The Virgin Suicides, Lost in Translation ou récemment la série sanglante Hannibal. Avec sa grande collection de matériel vintage issue des années 80, Brian Reitzell aurait initié le groupe d’Austin aux synthétiseurs analogiques et les techniques d’enregistrement MIDI.

On se doute bien que Jonathan Meiburg et ses fidèles compagnons, les multi instrumentistes Howard Draper et Lucas Oswald, sont trop ambitieux pour seulement se contenter de proposer une énième et écoeurante resucée de pop clinquante new wave, comme le font tant d’autres opportunistes. Jet Plane and Oxbow est beaucoup plus subtile. Cette troisième collaboration avec le producteur/ ingénieur du son Danny Reisch depuis leur signature sur Sub Pop, est indéniablement la plus aboutie. “Prime”, qui ouvre délicatement l’album, rassure sur les intentions : les claviers dominent mais n’étouffent pas, au contraire, ils offrent une respiration inédite, soulignée par de superbes nappes cinégéniques. Un bol d’air frais bienvenue pour le groupe après avoir flirté avec le rock épique sur le prédécesseur Animal Joy, qui ne nous avait convaincu qu’à moitié. L’arrivée du batteur Cully Symington se faisant à ce titre remarquablement discrète dans l’ensemble, ou se contentant d’appuyer l’aspect hypnotique des morceaux (son prédécesseur, l’impressionnant Thor Harris, également chez Swans et Bill Callahan, a quitté l’aventure après avoir fait une dépression).




Cette nouvelle enveloppe, toute en profondeur atmosphérique, séduit sur “Quiet Americans”, certainement le morceau le plus éloigné du son traditionnel du groupe par l’éviction de six-cordes et instrumentss folk, et par l’emploi d’une boite à rythmes. Finalement sur Jet Plane and Oxbow, Shearwater ne s’est jamais autant reproché de la sophistication pop de Talk Talk et son Spirit of Eden, une obsession récurrente de Jonathan Meiburg depuis ses débuts – l’état d’apesanteur sur le splendide finale minimaliste “Stray Light at Clouds Hill” ou encore la belle densité du silence de “Backchannels”, et l’hypnotique “Filaments”, dont la basse évoque le Radiohead de Kid A. De facture plus classique au piano, mais pas moins intense, “Wildlife in America”, questionne sur les dérives de son pays et l’absurdité de la guerre.

On frise tout de même parfois l’emphase, tel sur « A Long Time Away » où le chant de Meiburg se met dans un état de colère pas forcément justifié. Mais à côté de ce trop plein emporté, il y a aussi un pure joyau de délicatesse, “Only Child” à la mélancolie vibrante, certainement une des plus belles mélodie jamais ciselée par la formation d’Austin. Et rien que pour ce moment de grâce, et pour ces quelques autres moments en suspension distillées sur Jet Plane and Oxbow, ce nouveau voyage en première classe ne se refuse pas.

En concert à Paris le 26 février, au Point Ephemere