Sur leur second opus, les londoniennes relèvent la température de leur cold wave, entre ouverture et colère frontale.


Le visuel se veut vindicatif, un point brandit. Du genre, on ne baisse pas la garde. Silence Yourself, premier album du quatuor féminin Savages paru en 2013, faisait déjà l’effet d’un coup de poing dans le bien sage paysage rock anglo-saxon : Une esthétique forte (quatre jeunes femmes déterminées, vêtues de noir), des guitares viscérales régient par les codes post-punk, et quelques références bien placées ici et là (notamment John Cassavetes). Il n’en suffisait pas moins pour que la critique les adoubent. Certes, leur musique n’est en rien révolutionnaire (Slits, Siouxie, Bauhaus and co dans la ligne de mire), mais entendre ainsi un jeune quatuor féminin jouer avec ferveur et un tel contrôle du son et de l’identité, avait quelque chose de réjouissant. Sans pour autant trouver totalement notre compte dans ce premier album, le magnétisme opérait, fort notamment de la présence scénique de la chanteuse Jehnny Beth – la comédienne et musicienne française Camille Berthomier à l’Etat civil.

Sur la route depuis trois ans, Savages a continué à peaufiner sa dramaturgie et récolter les suffrages du public. Si bien qu’Adore Life est devenu un des albums de rock les plus attendus de cette rentrée 2016. Mais à l’heure du tant redouté second album, sont-elles parvenues à maintenir leurs exigences artistiques ou bien se brûler les ailes en pleine ascension ? La menace n’est pas anodine pour ces quatre esthètes d’un rock noir et angulaire, mais à l’équilibre si fragile. Enregistré au RAK Studios à Londres au mois d’avril dernier, Adore Life a été produit par Johnny Hostile, homme de l’ombre et quasi cinquième membre du groupe, avec au mixage le prodige de l’electro danoise Anders Trentmöller, censé apporté à ces guitares ancestrales un gage de touche moderne, avec quelques discrètes nappes atmosphériques.

Inévitablement, comme toute formation désireuse de poursuivre leur ambition artistique, Savages a dû remettre en question certains points, notamment le maintien de la pose rigide et grave, un brin hermétique. On peut aussi parler d’évolution, pour ne pas fâcher les coeurs susceptibles. En choisissant sur Adore Life – difficile de trouver un titre d’album plus signifiant – de ne pas rester figé dans leurs préceptes art punk, Savages a donc fait un choix, celui de l’ouverture. Dans un long texte publié sur son blog, Jehnny Beth revient sur la genèse de ce second album, révélant que l’expérience de la scène et du contact du public, lui a fournit l’assurance de ne plus avoir peur de montrer ses faiblesses, et même de les affirmer. Faire de ses faiblesses une force. Et par-dessus de citer un verbe du poète français René Char (décidément très tendance, après la ministre Fleur Pellerin…) : “Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront”.

Une fois la décision prise, le plus difficile reste encore à faire : mettre délicatement les formes, en évitant évidemment de tomber dans le piège de la terrible trahison “commerciale”. Tâche dont les Savages s’acquittent avec les honneurs sur ces dix titres d’une ardeur renouvelée et à toute épreuve. Déraidie, l’écriture du quatuor gagne en frontalité (le groove glacial d’’Evil”) tout en s’autorisant quelques belles nuances colériques – « Sad Person », où pour la première fois quelques accords claire mélancoliques s’immiscent). Tandis que sur “The Answer”, où un monumentale riff rouleau-compresseur semble absorber le chaos ambiant, Jenny Berth se débat en répétant avec conviction, “Love is the answer”. Tout n’est donc plus si noir. Le titre « Adore », qui donne son nom à l’album, est une première pour le groupe : une pop song âcre aux relents Smiths, qui malgré son accélération continue, résiste fièrement à la tentation du lyrisme. Sur un tempo lent et hanté, “Mechanics” est quant lui trop malsain et dissonant pour être rangé dans la simple catégorie balade.

N’en déplaise à ceux obsédés à l’idée de scruter les éventuels faux pas, on est convaincu que Savages a fait le bon choix. Continuer à sonder un rock angulaire et distant, mettait en péril sa longévité. Aujourd’hui, le poing symbolique de cette pochette s’est transformé au fil des tournées en une main tendu à leur public. Que l’on prend volontiers.