Ryan Adams est unique. Avec cet album en deux parties, antérieur à Rock and Roll, cet auteur compositeur audacieux nous montre avec une simplicité déconcertante toute l’étendue de son talent.


Sans juger de la valeur réelle de Rock and Roll, la comparaison est inévitable avec Love is Hell. Ces deux albums, si différents dans leur conception et dans leur contenu sortent quasi simultanément. En fait, pour la petite histoire, Ryan avait d’abord soumis Love is Hell à sa maison de disques et celle-ci l’ayant jugé trop dépressif et peu vendeur avait purement et simplement refusé à l’artiste de le distribuer. Rock and Roll venait de naître alors que Love is Hell était promis à une damnation prématurée et injuste.

Mais c’était compter sans la force de persuasion de Ryan qui, après avoir terminé l’enregistrement (rapide…) de Rock and Roll, réussit à convaincre sa maison de disque de sortir le disque maudit sous la forme de deux minis cd. Mais jugeons plutôt ce qui a rendu si perplexe les producteurs de Lost Highway Records.

L’album commence sur un rythme assez lent et donne le ton. Il se détache par son calme et sa discrétion et contraste largement avec le rythme effréné et le son lourd de Rock and Roll. Tout de suite, on sent que cet album reflète indubitablement mieux la personnalité très contrastée et attachante du chanteur. Et si les ballades se succèdent les unes après les autres, elles ne tombent toutefois jamais dans la facilité. Si Love is Hell n’est pas un album aussi accessible, voire formaté, que Rock and Roll, il n’en demeure pas moins exaltant. Celui-ci ne se révèle donc pas à la première écoute mais comme un bon vin, il se bonifie avec le temps et gagne même en caractère.

Même le célèbre « Wonderwall » des frères Gallagher ne paraît plus aussi évident lorsque Ryan y retouche. La ballade, en effet, perd en rythme ce qu’elle gagne en profondeur et en émotion.
La chanson titre, « Love is Hell », est paradoxalement et toutes proportions gardées, la plus rythmée du cd 1 (la chanson titre de Rock and Roll est à l’inverse le seul titre folk de l’album…). Cette première partie offre ainsi un ensemble très cohérent de chansons toutes plus épurées les unes que les autres, presque intemporelles de « Shadowlands » à « World War 24 » en passant par « Afraid not Scared ».

Ce sentiment étrange se renforce d’ailleurs à la première écoute de Love is Hell Part 2, où l’on est d’abord renversé par la beauté presque nue de « My Blue Manhattan », sublime chanson au piano commençant de manière remarquable la seconde partie d’un album que l’on découvre de plus en plus riche. Celle-ci est suivie d’une chanson un peu dans la même veine et tout aussi intimiste, « Please do not let me go », un titre avec très peu d’effets rappelant par moments le regretté Elliott Smith. L’ombre de celui-ci pesant également sur le morceau « I See Monsters » et même « Thank You Louise ».

On s’aperçoit d’ailleurs que le cd 2 est un peu plus éclectique que le premier, ainsi que nous le montre des titres comme « City Rain », « City Streets », « English Girl Approximately » ou encore « Hotel Chelsea Night ». Des chansons qui étonnent et amènent finalement un peu de rythme à un album d’une extrême douceur où l’auditeur est plutôt invité à se poser, d’une manière presque contemplative, et se laisser transporter par la voix magnifique et touchante de Ryan.
L’écriture de l’ex-Whiskeytown d’habitude assez introspective et sensorielle se retrouve ici à son paroxysme ce qui nous donne un album assez mélancolique mais empli d’émotions. Il n’hésite pas à s’aventurer dans des chemins divers et tortueux, avec New York comme point de repère géographique pour écrire des histoires décalées et nous livrer un album référence et somptueux à bien des égards.

A contre courant de toutes les modes actuelles, Love is Hell aujourd’hui tout simplement indispensable, et ce au grand damn des producteurs de Lost Highway.