L’impressionnante déferlante pop alternative californienne dérive sur son sixième opus entre electro folk et pop chimérique. Une des plus belles surprises depuis ce début d’année.



Il est réconfortant de constater qu’après près de 15 années d’existence, un groupe comme Rogue Wave continue d’explorer de nouvelles pistes, ou plus concrètement, d’avancer. Avec six albums et presque autant de changements de labels, le parcours de la formation californienne emmenée par le songwriter Zach Rogue (ex ingénieur de la Silicon Valley, licencié au début des années 2000 lors de la bulle internet) et son fidèle collaborateur, le batteur/claviériste Pat Surgeon, est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Notamment Sub Pop, qui les signa du temps des deux premiers albums, et voyaient certainement en eux un moyen de surfer sur la vague populaire des Shins, alors figure de proue du du label de Seattle et acteur de sa renaissance commerciale. Pourtant avec le temps, notre désillusion a grandit à l’égard de James Mercer, tandis que notre enthousiasme pour Rogue Wave est resté à ce jour intacte. Car hormis le bancal Permanent Light (2010), dérapage electro/hip hop où le groupe y diluait son identité, leur discographie tient merveilleusement la route. Une constance rare dans la pop dite alternative, qui suscite notre respect.

Trois ans après leur collaboration avec le producteur John Congleton sur le mille-feuille Nightingale Floors (2013), le capitaine Rogue & Co ont cette fois décidé sur Delusions of Grand Fur de se passer d’une aide extérieur. Une sorte de retour aux sources du DIY pour le songwriter et guitariste Zach Rogue qui dit ainsi avoir voulu renouer avec une certaine spontanéité en enregistrant dans son propre studio d’Oakland, lui qui a aussi goûté entre-temps aux joies de la paternité.

Les constructions pop shoegazing périlleuses échaffaudées sur Nightingale Floors (dont le morceau « Siren’s Song » en était son apogée) ont mué vers une ligne épurée. Un assainissement revu tant dans le squelette des compositions que dans l’approche mélodique. Ainsi, une mélancolie boisée flotte sur ses onze titres, où le chant de Zach Rogue s’y dévoile intimiste. Le rapprochement avec le premier album Out Of Shadow [2003] n’est pas anodin, qui comme on le sait, était en fait un disque solo de Zach Rogue, ainsi que le premier album de Release The Sunbird (2010), son autre projet parallèle, laissé pour l’instant sans suite. De cette intimité s’échappe de manière diffuse une lumière incandescente, imprégnant Delusions of Grand Fur, certainement l’oeuvre la plus homogène à ce jour du quatuor.


Si l’ossature d’écriture s’est de fait épurée, le traitement sur les sons et les arrangements demeurent toujours aussi poussés, voire impressionnant, tant sur la densité des textures synthétiques, que sur les strates de guitares luminescentes. L’implication de Pat Surgeon, batteur qui n’hésite pas si nécessaire à s’effacer derrière une boite à rythme, se distingue tout autant sur son usage subtile des ambiances synthétiques, notamment le très Chameleons « What is Left To solve ». Le mixage réalisé par Chris Walla (ex guitariste de Death Cab For Cutie et producteur notamment pour Nada surf), n’est certainement à négliger dans cette profondeur de champ.

Sans tourner autour du pot, les grands moments sont légions sur Delusions of Grand Fur. Les compositions ne sont pas révolutionnaires en soit, consignées dans un format pop, mais fourmillent toujours d’idées, d’habillages, qui rivalisent d’audace les uns après les autres : le superbe “Take it Slow”, qui ouvre lentement la marche, porté par le dialogue émouvant de deux voix, ou encore des pop songs rêveuses accrocheuses tels « Endless Supply ». Et bien sûr le très accrocheur « California Bride », qui détourne quelque part la mélodie du « Buffalo Soldier » de Bob Marley, pour la réinventer et la voiler d’une ombre mystérieuse et majestueuse. On reste ébahit par les trouvailles du groupe, qui parvient à bâtir un univers si sophistiqué à partir de chansons de trois minutes. Rare sont les groupes de cette trempe qui maîtrisent si parfaitement l’équilibre entre accroche mélodique et expérimentation. Cet équilibre là est même devenue une denrée rare. Alors bénissons tout simplement ce groupe d’exister, et de continuer à nous surprendre…