Désormais amputé de sa moitié, l’ex Go-Betweens en retour solo forcé se livre, digne et bouleversant à la fois. L’heure de la retraite n’a pas encore sonné.


La couverture sobre en noir et blanc porte le deuil. N’y figure aucun remerciement dans le livret, mais il n’est un secret pour personne quant à qui est dédié The Evangelist. Évidemment, on ne peut écarter les circonstances qui ont engendré cet album solo du grand et élancé Robert Forster, son premier en douze ans : la disparition de son ami Grant McLennan, épaule et éternel allié au sein des Go-Betweens. Lui s’en est allé dans son sommeil un après-midi de mai 2006, il venait tout juste de se marier à l’âge de 48 ans. Ensemble, ils ont formé un duo de songwriters infaillibles, si ce n’est peut-être le meilleur de la fin des années 80. Le décès signa irrémédiablement la fin du groupe et laissa Forster anéanti durant de longs mois, incapable de s’atteler avec Adele Pickvance (basse) et Glenn Thompson (batterie) de ce qui aurait dû être le onzième album des Go-Betweens.

Il est des albums marqués, dont la teneur émotionnelle prend le pas malgré tout sur l’objectivité. The Evangelist est de ceux là : McLennan nous manque, mais ces chansons sont en même temps magnifiées par le chagrin résultant de son absence. Bien sûr, il nous tardait d’entendre ses trois titres légués en guise de testament et tirés à la lumière par son fidèle complice : les splendides “Let Your Light In, Babe”, “It Ain’t Easy” et surtout “Demon Days”, que Forster considère comme l’une des plus belles chansons écrites par McLennan. Et il n’a pas tort. La progression mélodique est limpide, diaphane, le texte désarmant de beauté. L’instant même du premier couplet, le chant recueilli et troublant de Forster emprunte à la perfection le phrasé de son acolyte. Quelque chose se passe vraiment…
Un autre petit miracle se produit : la violoniste Audrey Riley, qui avait laissé son empreinte sur Liberty Belle & The Black Diamond Express (1986) revient pour signer des arrangements de cordes ondoyants sur quatre titres, dont “Demon Days” et la chanson “The Evangelist”. La boucle est (presque) bouclée avec les producteurs Dave Ruffy et Mark Wallis (16 Lovers Lane !), de retour depuis l’ultime et hautement recommandé Oceans Apart (2005) qui parviennent à une production virginale dans la droite lignée des sommets eighties.

L’année dernière, sur l’étrange rétrospective Intermission qui réunissait face contre face les carrières en solo respectives des deux Go-Betweens en chef, il faut admettre que McLennan, qui n’a cessé toute sa vie de chercher la mélodie parfaite, tirait son épingle du jeu par sa constance d’écriture. Cataclysme, il se produit un étrange phénomène sur The Evangelist : Forster, qui passait pour le poète « extravagant et arty », se transforme en mélodiste sniper qui ne rate jamais sa cible. Il s’impose avec une classe confondante sur le renversant et très pop “Pandanus”, sans oublier les chiadés “If It Rains” et “Did She Overtake You”. Peut-être avait-on oublié que le grand brun était le géniteur de “Clouds”, sommet de 16 Lovers Lane ?

La seconde partie de The Evangelist est moins chargée, plus légère, en voie de guérison. Forster reprend ses manières naturelles de charmant poète beatnik sur “Don’t Touch Anything” et le galop country “It Ain’t Easy” (une chanson de Mc Lennan dont Forster a écrit le refrain). Un appel de lumière jusqu’à la dernière plage, “From Ghost Town”, où devant un piano des ténèbres, il exorcise sa peine sur des mots bouleversants (« David wrote in his good-bye note « it’s all different now » / And it is there’s Much I’ll miss as I go on, as I move on »). Mais l’enfant orphelin de Brisbane reste digne, et signe là certainement son meilleur album solo. Robert Forster a désormais une conscience, une étoile qui veille sur lui.

– Le site officiel de Robert Forster

– Lire également notre entretien des Go-Betweens (juin 2003)

– Lire également nos chroniques de Liberty Belle… (1986) ; Tallujah (1987) ; 16 Lovers Lane (1988) (réédition Lo-Max /Discograph)