Quand la violence est maîtrisée, cela peut donner des étincelles qui elles allumeront des foyers, qui à leur tour provoqueront des incendies, qui se propageront sur des hectares de terres protégées. Ces pyromanes-ci passent d’entrée à la dernière étape. Un groupe criminel, un album explosif. Il était temps !!!


Il y avait belle lurette que nous ne nous étions intéressés au punk hardcore américain. Plus précisément depuis que la vague grunge avait tout emporté dans la tombe de Kurt Cobain et depuis la suppression des nuits de clips « spécial rock » sur M6 (la nuit de mardi à mercredi de mémoire). Autant dire que ce troisième album de Pissed Jeans, le deuxième chez Sub Pop, nous fait radicalement visiter nos classiques. Ne cherchez pas ici de trace de punk à skate, de coreux californiens chevelus, torse nu, et aux lunettes profilées. Non, Pissed Jeans, ce serait plutôt Mephisto (le Diable, pas les chaussures orthopédiques, même si vous risquez d’en avoir besoin à l’issue de l’écoute de ce disque) dans un jardin d’enfants mormons. Car voyez-vous, le braillard Matt Korvette et ses compagnons ont déclaré suivre un régime straight edge. Nous n’irons pas vérifier, merci. Mais il semblerait que ça commence sérieusement à leur monter à la tête, faute de mieux. Inutile de vous faire un dessin, la thématique générale n’est forcément pas la marche du Commandant Marcos ou le réchauffement climatique. Non, ici il s’agirait plutôt de bouffer du Watt pour mieux vomir sur l’échec sentimental. Ce programme beau comme un dimanche de première communion donne prétexte à un disque d’une violence rare.

Démarrant sur l’outrageusement rentre-dedans “False Jesii Part 2” — on n’avait pas entendu telle déflagration depuis “Tourette’s” de Nirvana, justement, une chanson de In Utero, lui-même paru chez Sub Pop, la boucle est bouclée –, King Of Jeans est l’occasion de tester notre tolérance au rock le plus bruitiste et primaire qui soit. Que les choses soient claires, on ne parle pas de métal ou de rock gothique aux voix gutturales et théâtrales. Non, il ne s’agit ici que de décharge d’adrénaline, de bestialité et de pottars. D’ailleurs, le disque va régulièrement osciller entre mélopées hémitives aux rythmes pachydermiques et brulôts torche-cul saignants et régulièrement décisifs. “Half Idiot” et sa lead guitare en pleine errance, “Dream Smotherer” et sa ligne pompée à Rage Against The Machine période vaches maigres, ou, beaucoup plus fort, “Human Upskirt” qui ferait passer les Dead Kennedys pour la Compagnie Créole avec cette batterie apocalyptique, ce chant (ce cri permanent, plutôt) des derniers instants, cette basse tel un bulldozer lancé en pleine vitesse dans une pente à 15% et cette alliance démoniaque de guitares menée par un Bradley Fry en roue libre.
Mais Pissed Jeans ne se contente pas de faire saigner les oreilles et rougir les amplis. Les gars de Pennsylvannie, sous ce déluge sonore, n’en oublient pas pour autant de bosser un tant soit peu leurs compos. Et en profitent même, à l’occasion, pour ralentir un tout petit peu le rythme, voire l’amener carrément à une cadence mortifère plus inquiétante encore que tout le tombereau de violence déversé jusqu’ici. La sardonique “Request For Masseuse” (croquignolet quand on connaît leur supposé rapport à la chose sexuelle) ou l’énorme “Spent” donnent même à entendre des mélopées sanglantes, vertigineuses et maléfiques, faisant penser à des Arab Strap période Philophobia ayant découvert les vertus de l’électricité.

De manière générale, ce qui fait de King Of Jeans un disque nettement supérieur au lot des sorties du genre, est son parfait équilibre, n’hésitant jamais à accélérer juste ce qu’il faut et toujours au bon moment. Un titre comme l’impeccable “R-Rated Movie” achève même de donner toute la dimension à un groupe en passe de devenir majeur s’il perdure dans cette voie de recherche que l’on n’a malheureusement pas souvent l’occasion de saluer dans cette caste plus encline au rot qu’à la plume. Forcément, on pense à d’autres grands gueulards d’outre-Atlantique capables de fédérer punks jusqu’au boutistes sourds au dernier degré et freluquets amateurs de pop couillue et travaillée, les indispensables Les Savy Fav. On retrouve un peu ce qui fit la force tellurique et débraillée de Rome ou de The Cat And The Cobra, ces débuts hésitants et irrésistibles des new-yorkais. Sauf que là où Tim Harrington offre une palette vocale plus variée que celle de Matt Korvette, celui-ci procure plus souvent cette sensation délicieusement répugnante qui peut prendre à l’écoute de certaines de ses éructations, versant moins dans le chant que son confrère, mais souvent plus percutant et écorché. Sa musique est ainsi éclairée d’une lumière d’agonie pour le moins inquiétante.

Avec ce troisième album, ces snipers entrent dans une dimension supérieure qui fait d’eux non plus des gars prometteurs mais des références à suivre. Un disque près de l’os qui fait mouche, une claque salutaire en cette période de renouveau hippie chic. Et, avouons-le, même vicié, cet oxygène-là nous fait le plus grand bien.

– Le site officiel, vraiment pour faire comme tout le monde…

– En écoute, “False Jesii Part 2” :