Étrangement, La Chambre de Philippe Crab en évoque une autre, celle, claire, de Roland Barthes. Non qu’il soit vraiment question de photographie — plutôt de littérature, son nom étant subtilement emprunté à La Nébuleuse du Crabe d’Eric Chevillard –, mais les détails y jouent un rôle de premier ordre, attirent l’attention, font voir le monde et ses clichés différemment. Sous la plume de Crab les mots agissent ensemble comme une série de mises au point ou, séparément, à la manière de saillies qui viennent bousculer l’ordre établi (« idiosyncrasie », « octosyllabiques », « ectoplasmes », « sybarite », « pluriséculaires », « thrombose » sont par exemple incorporés avec naturel, sans volonté d’en mettre plein la vue, tout en apportant de judicieux décalages). À l’intérieur d’un cadre aux bords marqués (une chanson française à texte aux illustres mentors — Serge Gainsbourg, Alain Bashung, Marcel Kanche), l’auteur-compositeur se raconte à travers des histoires conjuguées au présent, fictions volontiers autobiographiques focalisées sur un quotidien peu reluisant (panne d’inspiration et de coeur, mal de dos rédhibitoire, désillusions passagères, perte de croyances, etc.), narré avec précision et humour, sinon ironie. Le verbe chante autant qu’il déchante. L’inquiétude balaie au passage quelques rêves et la brutalité sociale tape à la porte de métaphores bien senties. L’angle choisi (le décalage poétique plutôt qu’un naturalisme sordide) autorise Crab à ne pas hurler ses intentions et surprendre à chaque chanson quand la musique, elle, fonctionne sans audace, comme toile de fond trop peu exposée à la lumière. De fait, le point de vue, ici, séduit davantage que la mise en son, ventre mou coincé entre un art consommé de la ritournelle pop et un rock progressif made in France un brin poussiéreux (les arrangements timides transcendent rarement la formule en trio basse/batterie/guitare, un morceau comme « Les insomnies » laissant pourtant la porte ouverte à un hors-champ musical prometteur mais trop peu convoqué). Nulle matière à faire la grimace, toutefois, les quatre murs de cette Chambre augurant de beaux lendemains.

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– Le site de Le Saule