Voilà déjà 35 ans que le ‘capitaine Nemo’ de la musique pop-folk psyché mène en sous-marin son Nautilus discographique. Bitter & Twisted propulse aujourd’hui Paul Roland à la surface sous fort courant ascendant pop-psyché et garage-rock.


Paul Roland Né dans le Kent, Paul Roland est un musicien anglais atypique et prolifique, auteur et journaliste confirmé (plus de 50 livres à son actif) et étiqueté depuis peu parrain du Steampunk. Voilà des lustres qu’il maîtrise de main de maître son affaire : une musique pop et psychédélique au contour gothique flouté, baignant dans des ambiances surannées ornées selon les circonstances de touches acoustiques, baroques, médiévales et folk.

A l’âge de 14 ans, il achète sa première guitare, assimile rapidement trois accords de guitares et se lance dans la composition. A 17 ans il a déjà écrit un livre sur Marc Bolan – influence majeure durant son adolescence – ou dixit Roland « sa voix extraordinaire et sa musique évoque un monde de fantaisie ponctué d’accents magiques ». En 1980 il enregistre son premier single « Oscar Automobile ».
Jeune musicien de 19 ans il entre en mars de la même année dans un Londres brumeux et gothique sur les traces du loup garou de Londres. The Werewolf Of London – titre de son premier LP emprunté à Warren Zevon – est enregistré sous la bannière Midnight Rags. Des titres acoustiques « Lon Chaney » côtoient des morceaux plus rock « Werewolves of London » – dominés par les claviers – et agrémentés ponctuellement d’un orgue d’église.

Remarqué par l’irremplaçable John Peel son premier disque sera également en rotation permanente dans le plus important club goth de Londres le Batcave Club.
En marge des majors depuis ses débuts, Paul Roland a résisté à tous les sortilèges, s’est frayé un chemin dans les contes et légendes, a festoyé avec l’occulte, le mysticisme et le surnaturel, a étudié le morbide et les crimes et s’est transporté dans la science-fiction et le fantastique. Sa discographie est la vitrine de monstres en tous genres mais est aussi pavée de légendes, d’excentriques et de lettrés. On y croise pêle-mêle – les frères Grimm, H. P. Lovecraft, Edgar Allan Poe, Nosferatu, Frankenstein, H.G. Wells, Jules Verne, Jacques l’Eventreur, Aleister Crowley, M.R.Lewis , l’hôtel de Norman Bates, des effluves de fumerie d’opium …



Précurseur il est l’un des premiers musiciens à composer des chansons – sur la période Victorienne (1837-1901) et Edwardienne (1901-1914) de l’histoire du Royaume- Uni. Les titres « The Great Edwardian Air-Raid » et « Wyndham Hill » (où nous est conté le voyage inaugural en machine volante d’un inventeur Victorien) sont de magnifiques miniatures mélodiques et sophistiquées. Le cinéma est aussi une source d’inspiration constante – il puisera notamment dans les films Universal des années 30 et 40 et les films étranges de série B. Mais l’influence suprême de Paul Roland sont les comics américains d’horreur de son enfance (« Ghosts », « House of Mystery » et « The Witching Hour »).
Tous ces personnages et ces situations concourent à rendre sa musique atypique. Ce cachet spécial –mystérieux, réaliste et documenté de ses textes – nourrit sa musique. Cette Å“uvre musico-littéraire sera chérie par une communauté de fans fidèles mais à contrario l’exclura des majors. Paul Roland n’a jamais été la créature – ‘le Réanimator – de l’industrie du disque.

Il n’empêche ; le résultat final est probant et est réalisé avec goût et humour. Paul Roland a l’humour macabre ! A aucun moment il ne sombrera dans la parodie. Tout est subtilement distillé à dose homéopathique pour créer un style personnel. Son timbre de voix envoutant et ensorcelant est un atout majeur.

Après The Werewolf Of London, l’Anglais a du mal à concrétiser. Managé pour une période par David Enthoven (ancien manager de Roxy Music, T.Rex et King Crimson) et June Bolan (veuve de Marc Bolan) il enchaîne sur deux mini albums, Burnt Orchids (1985) et Danse Macabre (1987). S’y mélangent de la musique de chambre ornementé par des cordes sous influence Left Banke et résonnant d’un écho délicat – à des morceaux plus rock et psychédélique.

On relèvera dans sa discographie A Cabinet Of Curiosities (1987), concept album acoustique aux influences sixties rempli de cordes, de flûtes et de hautbois, Duel (1989) « un hommage à la majesté médiéval du ‘In the Court of the Crimson King’ de King Crimson», le personnel Grimm (2011) ou le psycho-pop et gothique Bates Motel (2013). Chaque étape de sa copieuse et attrayante discographie recèle des trésors cachés n’attendant que des oreilles curieuses et attentives pour la déflorer.



En publiant ce 17 ème disque (le compte est incertain !), Paul Roland se renouvelle encore. Bitter & Twisted est ouvertement son disque le plus accessible bien que sa traduction littérale – ’en colère et dément’ ou bien ‘frustré et fou’ – pourrait faire penser le contraire. On navigue en territoire garage-rock, pop psychédélique et blues-rock. Rétrospectivement rien d’étonnant à cela, car déjà en 1992 il enregistre « Strychnine » sur le label New Rose – album où il reprend entre autres – The Electric Prunes, The Sonics et Bolan. Mais c’est par le prisme des chansons de Bolan et dixit Roland – ‘«des thèmes ‘Tolkeinesques’ quasi-mystiques de ses chansons de la fin des années 60 et début des années 70»’- qu’il lorgnera vers le garage rock sixties.
Ce nouvel opus est solide, envoutant et totalement convainquant.

L’irréfutable et justement intitulé « Born In The 6os » est une chanson garage rock pur jus. Roland y narre avec humour les échecs successifs d’une famille à intégrer les communautés cool des années décontractées 60-70. On y entend le narrateur – maudit et balloté -pleurant de tout son corps « 96 tears », en écho à la chanson du même nom des ? and the Mysterians.



Le titre « Zanti Misfits » fait référence à un épisode marquant d’une série télévisée de science-fiction de 1963 The Outer Limits. Un monde Alien exige que la terre soit la colonie pénitentiaire pour ses criminels à l’allure d’insectes difformes, de rats démesurés ou de fourmis aux visages humains. La musique est à l’avenant – Roland jouant sur plusieurs tons de voix – azimutés et piqués. Le propos est accentué par un crescendo en montagne russe de guitares stridentes et électrisées.
Le morceau d’ouverture ’‘ I’m The Result Of An Experiment (Which Went Hideously Wrong)’’ est aussi savoureux – on y assiste atterré aux prémices de la chirurgie esthétique vision d’horreur – sur une signature garage rock. Dans la même veine l’effréné et tubesque ‘’Devil’s Jukebox’’ rejette ses notes maudites à un train d’enfer. Ce juke-box du diable n’accepte d’ailleurs que des pièces de Nickel (le ‘cuivre du diable’), la playlist réduite à l’unique Paul Roland qui s’y délecte d’une voix claire et habitée sur des enchaînements d’accords de guitares au tempo rapide. Son suivant – ‘‘Dali’s Dream’’ est atmosphérique, on y progresse par strate psychédélique, la mélodie chasse le rêve, l’espace et la folie. Sur l’éponyme ‘’Bitter and Twisted’’ Paul Roland rejoint les rives du Mississipi et irrigue sa mélodie au son d’un blues-rock tout en maîtrise. Avec un humour grinçant au son d’une country squelettique, il s’égare sur les traces de la fine gâchette Billy The Kid – ‘’William Bonny’s Trigger Finger’’. Sa trace est dénichée dans un magasin d’un autre temps – où s’y trouve stocké dans un bocal – son doigt affuté et préservé !




‘’Catatonic’’ ne développe aucun trouble de passivité bien au contraire – affuté et primaire -il lâche des hallebardes de riff de guitares, le jeu de batterie de « Violet the Cannibal » est lui déchaîné. Mais Bitter & Twisted s’élève majestueusement. Une série de titres superbes est encore dispersée tout au long du parcours.
‘’Hugo’’ – le premier d’entre eux – tire toute son essence d’un classique du film d’horreur de 1945 – Au cÅ“ur de la nuit (« Dead of Night ») – où un ventriloque est possédé par l’esprit maléfique de son mannequin meurtrier ‘Hugo’. Roland et ses musiciens musicalement au top nous content cette schizophrénie sur un habillage pop folk pointilliste ponctué par un refrain aérien magique. Les deux titres suivants ’’I’ve Been Hearing Voices’’ et ‘’Another Me’’ sont magiques. Le trio de musicien Roland, Mick Crossley et Joshua Roland (le fils) atteint des sommets. Ciselés et ouvragés ces deux morceaux de folk progressistes et psychédéliques resplendissants ont la particularité de contenir en leurs seins de longues plages instrumentales addictives remplies d’instruments à cordes, de sitar, de clavecins et d’orgue minimale. Officiellement – sans les bonus – Bitter & Twisted se clôt sur l’énigmatique et acoustique‘’Insulted’’. La fin d’une histoire envoûtante et romanesque … pour l’agrément d’un auditoire que l’on espère nombreux.

Pour les primo-accédants désireux de découvrir son univers, le label UK Cherry Red vient d’acquérir les droits de son back-catalogue. Le premier module de la fusée à être satellisé sera un double CD ‘In The Opium Den – The Early Recordings 1980-87’ à sortir fin février 2016 où seront compilés ses 3 premiers enregistrements décrits brièvement en début de chronique.