Premier album en forme de profession de foi pour le nouveau groupe du sombre crooner irlandais Michael J. Sheehy, qui, tout en s’inscrivant dans la tradition du British Blues Boom, remet au goût du jour les illustres enregistrements d’Alan Lomax dans les pénitenciers du sud des Etats-Unis. Chronique + entretien.


Depuis plus de 50 ans, les Anglais ont le don de rappeler à leurs cousins américains ce qui fait l’essence de leur histoire, en parvenant notamment à mettre en lumière les courants musicaux minoritaires des Etats Unis. Il en a été ainsi du rock au début des années 60 qui obligea Bob Dylan à répondre à la British Invasion par le démon électrique dans son album Bring it all back home. Il en sera peut-être de même avec ce Deep fried des Miraculous Mule. Car aujourd’hui, même si l’on a pu assister au succès des White Stripes et autres Black Keys, les nouveaux parias de l’industrie musicale américaine sont bien les fervents défenseurs du raw et du punk blues. Ces chevaliers noirs de la musique populaire américaine qui publient dans l’urgence des albums essentiels et qui transcendent dans des « concerts communions », un répertoire qui pour rester vivant ne doit pas être perçu comme uniquement patrimonial (citons en vrac Left Lane Cruiser, Radio Moscow, James Leg…).

Avec ce premier album des Miraculous Mule, il s’agit bien d’un retour au point initial du cycle révolutionnaire du rock. De nouveau, les aspérités, le rugueux terrassent la nostalgie, l’idée galvaudée de la modernité. En incorporant dans leurs reprises de traditionnels, autrefois chantés par des prisonniers noirs américains, les sons métalliques des outils, les grognements et la clameur du supplice tout en revigorant le gospel par des chÅ“urs énergiques et des claquements de mains vifs, Miraculous Mule parvient à produire la musique rock la plus essentielle qui soit. Celle qui prend aux tripes, qui se transmet par le rythme et la transe, comme une brusque montée de fièvre. Il en va de même pour les trois compositions présentes sur ce disque qui à l’instar de ce « Satisfied » endiablé s’incorporent avec une curieuse aisance et sans altérer l’écoute de l’ensemble. Le fait que ces titres soient issus de longues jam sessions explique peut-être ce petit miracle. Plus loin, « I’m a soldier » et « Prettiest train » convient Odetta et le Band of Gypsys de Jimi Hendrix tout en confirmant la légendaire cohésion des combos anglais. Comme le laisse supposer sa formidable pochette, ce disque essentiel tient du miracle.

Miraculous Mule, Deep Fried (Bronze Rat)


De gauche à droite : Patrick McCarthy, Michael J. Sheehy, Ian Burns

Questionnaire

Auteur depuis le milieu des années 90 d’une passionnante discographie au sein du mythique Dream City Film Club, puis en solo, Michael J. Sheehy, désormais leader du groupe Miraculous Mule, a bien voulu répondre à notre petit questionnaire :

– Une chute : Depuis La Chute de Camus tout comme avec le groupe “The Fall” dans lequel officie Mark E.Smith, ce terme a dorénavant d’autres résonnances collectives. La Chute et L’homme révolté de Camus sont deux ouvrages que j’ai commencés mais que je n’ai pas pu finir. J’ai récemment relu pour la première fois depuis mon adolescence, L’Etranger et La Peste et ces livres continuent à m’interpeler.

– Un anniversaire : The Birthday Party, le vieux groupe de Nick Cave qui m’obsédait quand j’avais vingt ans.

– Un clin d’Å“il : Tricky (visionnaire Trip-hop), fait ses courses dans le même supermarché que moi, à Londres. J’aimerai tant pouvoir lui dire à quel point ses premiers enregistrements comptent pour moi. Mais lui dire cela en plein milieu de ses achats de lait et de biscuits cela pourrait paraître grotesque. Pourquoi aller ennuyer ce type !

– Un ami d’enfance : Le seul ami d’enfance avec lequel je suis encore en contact est Ian Burns, notre batteur : Chapeau bas M. Burns !

– Un regret : Seulement un seul ?

– Un lieu : Hampstead Heath, Londres

– Un étranger (rencontré ou imaginaire) : Scarlett Johansson dans Under the skin un mix particulièrement réussi de David Bowie version The Man Who Fell To Earth de Nick Roeg, additionné à Tim Curry période The Rocky Horror Picture Show, saupoudré d’une bonne dose d’Alexis Texas (une star du porno particulièrement bien pourvue, à ne pas aller voir sur le net faute de quoi vous y passerez la journée…)

– Une mauvaise pensée : Penser que l’on peut gagner sa vie en étant musicien…

– Un train : « L’Eurostar »

– Un long moment d’attente : Notre vol retour de Brême il ya trois années de cela. Ryan Air voulait nous arnaquer en nous faisant payer un supplément pour nos instruments (supplément que nous avions déjà payé à l’aller). Ensuite, notre vol a eu un retard de plus de trois heures sans que personne ne s’excuse ou nous donne une quelconque explication. Ne prenez jamais l’avion avec cette compagnie mes amis !

– Le dernier album écouté : Elvis, Live In Memphis 1974

– Le dernier album acheté : Cate Le Bon, Cyrk