Le retour de l’ex Diabologum avec un album intense, sincère et prenant.


« Je suis rentré, je suis revenu, la nuit venait de baisser son rideau de fer sur des milliers de paupières,
Je suis rentré, je suis revenu, chez nous dans notre vie commune, comme à mon habitude je l’avoue, je t’ai trompé avec ma solitude
. »

C’est ainsi que débute l’un des albums les plus intenses de ce début d’année. Par un constat lucide, détaché, humble, d’un égarement. Celui de Michel Cloup, sur plusieurs niveaux. D’abord musical avec Notre silence, précédent disque dans lequel il tentait, sans vraiment y parvenir, de dépouiller sa musique de tout artifice, de livrer un matériau brut.

Puis relationnel et surtout personnel. Prenez « Minuit dans tes bras », le premier titre de l’album : une introspection, une mise à nue de tous les défauts, un constat plutôt brut de décoffrage mais non dénué d’humour (« L’endurci que je suis a appris à comprendre ainsi qu’à pardonner lorsqu’il y a… possibilité » ; ou plus loin « Je n’ai fait que courir le plus rapidement possible oubliant parfois après quoi » ) des tourments d’un homme ayant atteint la quarantaine et traversé un nombre d’épreuves musicales intenses ( le succès avec Diabologum, les séparations et ce qu’elles peuvent entraîner comme conflits, les doutes avec Expérience) faisant du toulousain une sorte de survivant malgré lui.

Dans le cas de Michel Cloup, être musicien peut s’avérer bien pratique. Pas besoin de se payer des séances de psychanalyse : une guitare, un clavier d’ordinateur ou un stylo pour les plus âgés d’entre vous et vous obtenez là la meilleure des catharsis. Cela permet de s’épancher sur ses peurs (le vieillissement, la mort), ses addictions (« Sortir boire et tomber »), ses rapports à autrui, bref de faire un travail sur soi, un bilan. Vous direz, et vous n’aurez pas tort, que ce n’est pas le premier à le faire, d’autres s’y sont essayés. Ce qui différencie Michel Cloup des autres, du moins pour ce disque, c’est qu’il trouve d’emblée la juste distance. Les plaies sont multiples, béantes, exposées à la vue de tous mais vous ne trouverez dans son écriture aucun misérabilisme, aucun épanchement, pas de voyeurisme, juste de la pudeur, un peu de rage et même de la tendresse (le superbe nous vieillirons ensemble).

Autre élément remarquable concernant l’écriture, c’est l’existence de plusieurs niveaux de lecture. Minuit dans tes bras peut en effet se lire comme une sorte de journal intime mais également comme une réflexion sur les rapports particuliers et intenses liant les artistes et leur public (les textes de « Minuit dans tes bras #1 » et « Nous vieillirons ensemble » notamment mais aussi le fait d’utiliser la voix de Françoise Lebrun sur minuit dans tes bras #2).

A défaut d’être excellent d’un point de vue textuel, cet album de Michel Cloup l’est également d’un point de vue musical. Contrairement à notre silence, d’une langueur monotone, minuit dans tes bras est cinglant, tendu, nerveux. Patrice Cartier frappe ses fûts façon Doug Sharin de Codeine : avec rage et précision, les guitares vont à l’essentiel, ne s’encombrant pas de bavardages superflus, entre giclées de tension à la Slint et bordel maîtrisé hérité du Crazy Horse de Neil Young (l’intro de « Minuit dans tes bras #2 » pourrait très bien figurer dans le Weld sans faire tâche), elles raclent l’os, rêches, grattent là où ça fait mal mais savent aussi se mettre en retrait, au service des textes, soulignant d’un trait délicat la mélancolie se dégageant de certaines chansons.

Autre grande qualité qu’il convient de souligner sur ce disque : la cohérence de l’ensemble. Ici pas un titre faible, un excellent dosage tension/calme (parfois au sein d’un même morceau), une dynamique qu’on n’espérait plus retrouver depuis la séparation de Diabologum (cet album pourrait se présenter comme une sorte de prolongement du #3 à qui on aurait gommé le côté juvénile et absurde au profit d’une rage contenue) et une capacité à enchaîner les titres tout simplement remarquable. Pour cela il suffit d’écouter la transition entre « Minuit dans tes bras #2 » et « Nous vieillirons ensemble », d’une limpidité, d’une beauté et d’une évidence absolues. Le genre à vous coller des frissons à chaque nouvelle écoute. Car, bien entendu, vous l’aurez compris, minuit dans tes bras est une Å“uvre à laquelle on s’empresse de retourner une fois la dernière note jouée, une fois le dernier «ensemble» prononcé.

Michel Cloup a réalisé là une Å“uvre sincère, tendue, poignante, voire obsédante pour laquelle, une fois rentré dedans, on a du mal à lâcher prise, un album habité, un grand disque. Tout simplement.