Deux ans après Minuit Dans Tes Bras, Michel Cloup change de batteur, nous refait le coup du duo et revient avec Ici Et Là-bas, son plus bel album à ce jour.



Ce qu’il y a de bien, chez Michel Cloup, c’est que dès les premières secondes de ses disques, l’auditeur sait dans quelle direction il va aller, où il veut nous emmener. C’est rassurant.
Ce qu’il y a d’encore mieux chez Michel Cloup, c’est que plus on sait où on va, plus la zone d’inconfort sera grande. Parce qu’il y a chez lui, comme Pascal Bouaziz de Mendelson, une propension à être d’une honnêteté quasi effrayante et d’avoir un regard sur la société sans filtre, brut de décoffrage. La différence entre les deux réside dans le fait que l’un utilise le second voire le trentième degré pour dénoncer les travers de notre société et que le second met littéralement ses tripes sur la table, choisit de mêler petite et grande histoire afin de mieux cerner les maux d’une société malade.

Sur son opus précédent, Minuit Dans Tes Bras, Cloup s’attaquait au temps qui passe, aux interrogations quasi existentielles liées à celui-ci, tant au niveau des sentiments que de la maturité, et ce au travers son expérience personnelle. Minuit Dans Tes Bras n’était ni plus ni moins que le journal intime d’un jeune quadra qui s’expose certes sans tabou mais avec une grande et belle dignité.
Avec Ici Et Là-bas, Cloup ne change pas la formule, il l’enfonce, va plus loin. Plus loin dans l’introspection, plus loin dans les parallèles entre l’intime et l’histoire avec un grand H. Il pose le tableau d’entrée de jeu, les racines, l’origine, l’histoire familiale qui rejoint à bien des égards l’actualité sur les migrants, la déchéance (et pas seulement de nationalité), l’abandon de toutes les classes sociales. Tout cela est mis en exergue avec l’Histoire, renvoyant à la situation sociétale des années 30 ainsi qu’aux atrocités commises pendant la seconde guerre mondiale. Le tableau est sombre, le constat cruel, lucide, parfois désespéré (« D32W ») mais atténué par une tendresse omniprésente, un regard bienveillant sur sa famille. Il y a une simplicité à l’évocation de celle-ci, une chaleur qu’on ne lui connaissait pas ou peu (tout juste sur Nous Vieillirons Ensemble). On retrouve d’ailleurs cette simplicité dans la musique, plus concise, s’exprimant par bouffées de violence (« Animal Blessé ») ou de tendresse (« Deux Minutes Vingt Cinq »), c’est au choix. Si on ajoute à cela l’apport de Julien Rufié, nouveau batteur qui amène un surcroît de tension par sa frappe sèche, proche de la réchitude de Codeine de The White Birch, vous comprendrez que ce nouvel album est, à minima, une nouvelle réussite.


Fin de la chronique un tant soit peu objective. Passons un peu à une autre, bien plus subjective : dire que la première écoute m’a déçu serait un doux euphémisme. Ayant quelque peu adoré Minuit Dans Tes Bras, retrouver les mêmes ingrédients, la même recette dans Ici Et Là-Bas a de quoi déconcerter si ce n’est décevoir. A vrai dire, au bout de six morceaux l’envie de jeter l’éponge m’a traversé l’esprit au moins six fois. Pourquoi continuer alors ? Masochisme ? Perversité? Allez savoir. Toujours est-il que jusqu’à « Nouveau En Ville », c’est un sentiment de déception, de déjà entendu qui a dominé mon écoute. A partir de là en revanche, c’est autre chose : comme si une étincelle s’était produite, la flamme reprend, l’intérêt s’est de nouveau ravivé. « Etranger » me conforte dans ce mouvement, ce regain, tout en tension maîtrisée, un long et formidable morceau de huit minutes qui passent comme un souffle.

Mais à vrai dire, rien ne me préparait à « Une Adresse En Italie ». Là, le choc est extrême. Exit donc Julien Rufié, Codeine et bienvenue aux drones fascinants façon Windy & Carl. « Une Adresse En Italie », c’est quatorze minutes de nappes d’ambient, de doux trémolos de guitares, de crescendos, de giclées de nostalgie et d’espoir, une cinématique qui vous enveloppe et que rien ne semble altérer. Rarement un musicien n’aura su créer un univers aussi vivant, émouvant, rendre la réalité aussi palpable, et ce grâce à une écriture remarquable, par la force de détails qui appellent immédiatement des images, des sensations. Cette épopée, racontée avec une simplicité et une sincérité évidentes, touche en plein cÅ“ur, broie les tripes, vous retourne comme une crêpe et vous laisse exsangue, les yeux au bord de l’inondation.

Évidemment, après un tel séisme, la seule chose à faire, c’est de se repasser l’album. Parce qu’on se dit que s’il était capable de nous remuer autant les tripes en un morceau, on avait dû louper forcément quelque chose avant. On remet donc « Qui Je Suis et là », bien sur, on se prend le reste de l’album dans la gueule. Parce qu’après réécoute, le choc d' »Une Adresse En Italie », ben … il était prévisible et annoncé dès la dernière minute d’Ici Et Là Bas, dès « Deux Minutes Vingt Cinq » ou encore « D32W ». Ce qu’on prenait pour une redite lors de la première écoute n’était en fait que l’affirmation d’un style s’affinant d’album en album, dégraissant pour ne plus aller qu’à l’essentiel. De fait la violence des morceaux devient plus rêche, plus brute (« La Classe Ouvrière », formidable single ou le non moins excellent et tendu « Animal Blessé »), la palette des émotions s’élargit et la rage, le désespoir qui parfois habitaient les autres albums se meut ici en inquiétude (« Nouveau En Ville », « Etranger »), en résignation (« D32W ») ou encore en tendresse, émotions qu’on ne percevait qu’en filigrane ailleurs. La nouveauté ici, c’est que Cloup les exprime clairement, que malgré toute la merde qui l’entoure, cette société qu’il abhorre, il se permet une action inédite chez lui : le droit d’être heureux.

Ailleurs, pour n’importe qui, on appellerait ça «Â l’album de la maturité », cette blague ; ici, chez Cloup, la maturité, de par son regard acéré, a toujours été présente, et ce dès Diabologum. Non, sur Ici Et Là-Bas, c’est autre chose qui se passe, un apaisement inédit, un regard nostalgique, une forme de bienveillance. Vous me direz : c’est peu de chose la bienveillance; mais à l’échelle de Michel Cloup, c’est une véritable révolution et c’est également ce qui contribue à rendre Ici Et Là-Bas émouvant, précieux et indispensable.


Prochains concerts :

31/03/2016 – Temps Machine @ Tours (37)
01/04/2016 – Maroquinerie, avec Zëro @ Paris (75)
02/04/2016 – Pavillon 108 @ Fumel (47)
08/04/2016 – La Dynamo @ Toulouse (31)
09/04/2016 – Rockstore, avec Génération X @ Montpellier (34)
15/04/2016 – Fjt Les Oiseaux @ Besançon (25)
16/04/2016 – Disquaire Day @ Orleans (45)
22/04/2016 – Festival Mythos @ Rennes (35)
23/04/2016 – L’Arsenal @ Nogent le rotrou (28)
29/04/2016 – Le Bourg @ Lausanne (CH)
13/05/2016 – Festival Wine Nat White Heat @ Nantes (44)
21/05/2016 – L’ampli @ Pau (64) w/ Mansfiled Tya