Sur son onzième album, le trio de Duluth, continue de creuser son sillon « épure et désolation » avec une grâce hors du commun.


Une nappe de synthé à l’agonie, une rythmique rachitique, une mélodie parvenant difficilement à se frayer un passage au travers cette désolation et enfin les voix de Mimi et Alan, à l’unisson, noyées dans des nappes de réverbération. Bienvenue dans les contrées immédiatement identifiables de Ones & Sixes, onzième album de Low, trio de Duluth, riante bourgade Mormonesque des Etats-Unis.

Pourtant, on pouvait craindre le pire : outre un The Invisible Way insipide sorti il y a deux ans, la campagne de comm’ orchestrée ces derniers mois laissait à penser que nous avions en face de nous le prochain Muse. Artwork dévoilé plusieurs semaines à l’avance, mise en ligne d’un morceau par mois sur le trimestre précédant la sortie, vidéo officielle en août, manquait plus qu’une série d’interviews pour Closer et quelques shows dans des télé-réalités pour parfaire la campagne de façon redoutable.

Cessons cette campagne de calomnie honteuse et recentrons le débat : qu’en-est-il de Ones & Sixes ? Disons le tout net : le groupe a cette capacité incroyable à rebondir et se remettre en cause après les échecs. Ones & Sixes l’illustre parfaitement avec un retour réussi dans l’ensemble, du moins, sur les deux tiers du disque. Sur les douze morceaux présents, quatre sont plutôt décevants. Habituellement le trio excelle sur la longueur (le grandiose « Do You Know How To Waltz ? » sur The Curtain Hits The Cast, « Lullaby » sur I Coul Live In Hope), étonnamment, c’est justement ici qu’il échoue avec un « Landslide » faussement tendu, trop démonstratif pour être honnête, d’une langueur interminable et un DJ le cul entre deux chaises, tiraillé entre tension sourde, expérimentation et apaisement. Ce n’est pas un hasard si ces deux morceaux concluent l’album, laissant à l’auditeur le libre choix d’arrêter après le magnifique « Lies ». Il en va presque de même pour « Kid In The Corner », pas désagréable mais dont on ne comprend pas très bien la finalité (hormis celle, évidente, d’évoquer les ravages sur les mômes de certaines phrases ou comportements couramment usités chez les adultes ), le morceau faisant du surplace et n’évoluant pas ; le cas « No End » est un peu différent, posé là pour désamorcer le côté plombant du disque, le morceau se veut une sorte de relecture Lowesque des Beach Boys mais tombe un peu à plat de par son aspect un peu redondant.

Pour le reste en revanche, c’est au pire superbe, au mieux superbe. On retrouve en effet ce qui fait le sel de Low depuis ses débuts à savoir un mélange très personnel de tension et d’ascétisme. Les deux sont d’ailleurs présents dès les premières secondes de « Gentle », placé là pour rassurer les nostalgiques de leur meilleur album post-Things We Lost In Fire, à savoir Drums & Guns. Il s’agit donc là d’un rétropédalage du plus bel effet avec orientation électro à prévoir sur une bonne soixante de minutes. Programme tout à fait conforme pour « Gentle », « Congregation », « Into You » et « The Innocents », tendus, arides et mélodiques, avec un soupçon d’expérimentation, d’une beauté tout à fait singulière (« Innocents » notamment).

Si nous sommes bel et bien en terrain connu, One & Sixes réserve parfois de belles surprises. Si on veut bien gratter un peu et aller au-delà d’un ascétisme commun pour eux, le trio se laisse parfois aller à une sorte de nostalgie voire mélancolie assez inédite (le bouleversant « Lies » ou le léger et pop « What Part Of Me »). Le trio semble même parfois s’amuser à expérimenter et réussir d’étranges potions : sur « Spanish Translation », nous nous retrouvons face à l’essence de Low sur laquelle se greffe le « Flashdance » d‘Irene Cara ainsi que du Badalamenti. Le mélange, détonant et étrange, est particulièrement savoureux. Sur « What Part Of Me », Low semble vouloir faire tomber l’hermétisme caractéristique du groupe en y ajoutant une simplicité pop au final assez émouvante.

Aussi, vous l’aurez compris, même si un tiers de Ones & Sixes n’est pas à la hauteur, l’album dans l’ensemble est si réussi qu’il parvient à éclipser la légère déception qu’on peut avoir à la première écoute. Et au bout du compte, avouons-le : voir Low aligner autant de pépites et revenir à un tel niveau est une nouvelle toujours aussi réjouissante. Et on se plaît à penser qu’en matière de désespoir, le trio aura toujours quelque chose à nous dire et parviendra à se renouveler de fort belle manière, comme sur ce très bel album.