Avec son dernier album, Lawrence English peint une traversée singulière, laissant entrevoir la beauté éphémère et éclatante de la fuite du temps.


Le temps n’existe finalement que par son passage. Dire cela est certes une banalité, qui peut prendre même l’allure d’une sentence lourde pour l’homme positiviste. Ce dernier, inquiet de la prise qu’il a sur l’univers, ne peut s’empêcher d’observer son monde lui glisser entre les doigts. Un contexte angoissant qui peut conduire soit à une paralysie jusqu’à lui bloquer toute activité, soit à travailler cette angoisse, à lui donner forme : la création en somme. Les grecs, dans l’Antiquité, l’avaient bien compris : le génie et la folie, loin de s’opposer, ont bel et bien une source commune.

Ainsi, la fuite du temps peut être un point de départ, une ouverture qui traverse l’imagination qui, en même temps, se trouve traversée par elle. L’inspiration présente dans A Colour for Autumn du musicien australien Lawrence English fait peut-être partie de cette rêverie commune à vouloir trouver l’harmonie entre le geste individuel et le mouvement de l’univers, suspendre l’angoisse et se mêler à la fluidité du temps. Si le titre de l’album renvoie à une « couleur » musicale proposée pour l’automne, il ne s’agit pas d’un assujettissement au sentimentalisme. Au contraire, la saison de la mélancolie se confie ici dans les détails, des touches précieuses posées sur des nappes légères, comme par exemple la guitare de Christian Fennesz présente sur “The Surface Of Everything”. Cette démarche devient plus contrastée dans des morceaux comme “The Galaxies of Dust” avec une ligne de basse rappelant fortement celle d’Oren Ambarchi qui dénote une série de présences fugitives, alors que dans “Stillness in Motion” elle creuse autant qu’elle compose la mélodie.

L’univers sonore de A Colour for Autumn constitue déjà un monde en soi, mais sa véritable efficacité, comme pour toute musique dite ambient se révèle dans le rencontre avec le monde extérieur. Si l’aspiration initiale exprimée par Brian Eno était « d’accompagner l’écouteur », il est toujours question ici de donner un ton à la perception et de jouer sur la réception. Il s’agit, en un sens, de se détacher des automatismes et de participer à la (re)naissance du monde environnant. “Droplet” illustre cette première respiration avec une voix étendue, qui laisse entendre le mistral enregistré dans l’église Notre Dame de la Garde à Marseille en 2007, ce vent qui annonce l’arrivée de l’automne.

La couleur qui se dessine à travers l’album est en effet un trajet aux intensités variables, une dialectique organisée en forme de dialogue entre les sonorités fixes et étendues et celles qui sont plus ponctuelles et éphémères. C’est cette rencontre même qui inscrit son auditeur dans une temporalité hétérogène, dans lequel les différentes couches sonores restent distinctes mais harmonieuses. René Char disait que le poète devait laisser des traces et non pas des preuves de son passage, car ce sont les traces qui font rêver. L’empreinte laissée par A Colour For Autumn est assurément de ces traces qui ouvrent sur un devenir fragile mais éminemment nécessaire.

– Le site officiel de Lawrence English

– En écoute : « The Surface of Everything »