Le moins que l’on puisse dire, c’est que Darwin Deez ne passe pas inaperçu. Sous son implantation capillaire foisonnante comme un plat de tortillas, se cache un cerveau d’homme orchestre lo-fi. Ce charismatique jeune homme, originaire de Caroline du Nord mais new-yorkais d’adoption, est l’auteur d’un premier disque de rock pulsatif, aussi fauché qu’enthousiasmant.


Ce qui nous a mis la puce à l’oreille ? Une revigorante collection de vignettes indie pop, trafiquées avec trois fois rien sur un ordinateur portable : un micro, une guitare électrique qu’on jurerait branchée sur un transistor, une boite à rythme piquée à Super Mario Bros, et évidemment un peu de magie…

A lui tout seul, ce drôle de Monsieur Bricolage est parvenu à créer sa synthèse bubble gum du rock new-yorkais, au croisement des Strokes et de la funk blanche version Talking Heads. Roi du gimmick un brin naïf qui fait mouche (les irrésistibles “My DNA”, “Radio Detector”), on le sait aussi capable d’humeurs plus vaporeuses, telles la jolie virée somnambule “Bed Space” ou encore “Lights On”, crise punk brouillée d’interférences comme on n’en a plus entendu depuis les premiers albums de Sparklehorse. Sympathique baratineur et par conséquent véritable bête de scène, le valeureux a même bravé le volcan islandais pour venir jusqu’à nous.

Darwin Deez : Nous étions à Manchester lorsque le volcan d’Islande s’est réveillé. Le groupe était attendu à Dublin pour jouer au Trinity Ball, une très grosse fête universitaire organisée chaque année. Évidemment nous sommes arrivés très en retard, via le ferry. Après avoir joué, j’ai assisté aux concerts des autres groupes, puis ai attendu jusqu’à cinq heures du matin, pour voir si le nuage de cendres allait faire son apparition. Je m’attendais à quelque chose de spécial, mais non, rien de tel. Tout semblait normal. J’étais un peu déçu.

Pinkushion : Première question fondamentale. Qui est Darwin Deez ?

Darwin Deez : (Pensif) Mmm… Qui est Darwin Deez ? Qui est ce type ? Qui est ce gamin ? Quelqu’un qui aime danser et qui aime la musique pop… (ndlr : visiblement troublé par cette question, il fixe un numéro des Inrocks avec MGMT en couverture). Oh, et je connais Andrew et Ben.

J’ai lu que vous fréquentiez la même université, la très prisée Wesleyan, à Middletown, dans le Connecticut.

Je ne les connais pas si bien que ça en fait. Il y avait quatre dortoirs dans ce complexe : Alec était dans le numéro 4, Ben dans le numéro 1, moi dans un autre. Nous cohabitions plus ou moins ensemble. J’y suis seulement resté un an. Ce fut une très mauvaise expérience, car je ne m’y plaisais pas. Middletown est une petite ville très ennuyeuse. Rien à voir avec là ou j’ai grandi, Chapel Hill en Caroline, une ville universitaire très agréable. C’est une ville cool, où il se passait toujours quelque chose et qui possédait une très bonne université. J’imaginais que toutes les autres villes universitaires étaient aussi cool, mais j’ai vite déchanté à Wesleyan : une ville de trois mille étudiants, où les gens créent vite des connexions entre eux car il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. Tu peux rejoindre le groupe ou rester dans ton coin. Mais je n’étais pas capable de me fondre avec eux, tout ce qui m’intéressait, c’était la musique. J’ai essayé de monter un groupe, mais c’était trop dur, tout le monde était trop occupé. Aussi lorsque je suis ensuite parti pour New York, ce fut une expérience libératrice. J’avais beaucoup de temps pour moi. Je suis heureux d’avoir passé autant de temps seul, ce fut propice pour ma musique.

Avant cela, tu as officié comme guitariste au sein de Creaky Boards.

Oui. Ce n’était pas mon groupe. J’étais juste le guitariste de mon ami Andrew, qui était le cerveau. Ce fut une bonne expérience, je suis très heureux d’en avoir fait partie : jouer avec ce groupe, partir en tournée, voyager. C’est ainsi que j’ai pu rentrer en contact avec le label Lucky Numbers ; je suis heureux que des Anglais se soient intéressés à ma musique… Mais avant, pendant et après Creaky Boards, j’ai toujours composé ma propre musique.

As-tu enregistré un album avec ce groupe ?

Creaky Board était la création d’Andrew, qui a enregistré et écrit l’album intégralement. À l’exception d’une partie de guitare que j’ai jouée sur un titre, j’étais essentiellement un musicien de tournée. L’aventure a duré deux ans.
Avant cela, la musique c’était juste moi, mon ordinateur et des « jouets » faisant du bruit dans une petite chambre à Brooklyn… J’enregistrais avec un micro de fortune, c’était très lo-fi, de la noisy-pop si je peux dire. Cette période a duré pas mal de temps. Et puis un jour, j’ai décidé d’aller à des soirées Open-Mic à New York. Il y avait ce lieu appelé Side-Rock Cafe, qui avait une scène. Chaque lundi, n’importe qui pouvait s’inscrire et y chanter une chanson. J’y suis allé pendant un an, j’allais voir tout le monde jouer et cela m’a motivé pour, à mon tour, aller interpréter mes chansons. C’est ce qui a provoqué le déclic et m’a motivé à commencer l’album. Ce fut très formateur pour la scène, mais aussi pour trouver des idées de textes. Je faisais de la musique depuis l’âge de 11 ans, mais je n’avais aucune idée de comment écrire de bonnes paroles. Observer les gens tous les soirs fut en quelque sorte pour moi la dernière pièce du puzzle.

Darwin Deez, Avril 2010

Ta musique est enjouée mais les textes parlent souvent de coeur brisé, avec un ton assez réaliste. Puises-tu dans ton expérience personnelle ?

Je tends définitivement vers cet aspect réaliste ; pratiquement tout vient de mon expérience personnelle, à quelques exceptions près. “The Bomb Song” par exemple est tirée de mon imagination. “Deep Sea Divers” aussi, même si l’essentiel de l’histoire est vraie.

Justement, sur « Deep Sea Divers » tu chantes un refrain très direct et en même temps très triste : « You’re Bringing Me Down ». La première fois que j’ai écouté ce morceau, je l’ai gardé en tête toute la journée.

C’est extra ! (sourire) Ce titre est le premier morceau que j’ai écrit pour l’album. Lorsque qu’il est sorti, je me suis dit, « oh mon dieu », ce titre est bon ! J’ai simplement enregistré la guitare et la voix sur cet appareil (ndlr : il pointe mon dictaphone qui tourne et sort de sa poche un modèle identique). Je l’ai interprété deux ou trois fois à l’Open-Mic, les réactions du public étaient très bonnes. Je lui ai donné ce son, qui a un côté un peu sous-marin, afin de le rendre plus intéressant (sourire). Ce fut le vrai commencement pour moi. J’ai découvert musicalement qui j’étais à travers ce morceau. Toutes les autres compositions font partie de cette même famille.

Finalement, après toutes ces années, ce fut assez simple de trouver ta voie.

J’ai cherché pendant longtemps mon style. La première fois que je suis allé à cette soirée Open-Mic, j’ai écrit ensuite des chansons dans la veine anti-folk d’Adam Green. Mais sur scène, mes compositions ne sonnaient pas juste. Et puis après avoir écrit “Deep Sea Divers”, j’ai jeté tous mes morceaux à la poubelle, sept chansons que j’avais écrites spécialement pour la scène. J’essayais de faire quelque chose pour pouvoir connecter les gens, mais je n’avais pas la bonne attitude. Chez les songwriters anti-folk, comme Adam Green et Kimya Dawson, les paroles sont tellement directes ! Kimya dit exactement ce qu’elle ressent. Mon ami Andrew de Creaky Beard est aussi un membre de cette école, de cette scène anti-folk. Inconsciemment, je ne savais même pas que je les imitais, j’étais juste absorbé par cette communauté new-yorkaise que je fréquentais un peu. J’étais tellement heureux lorsque j’ai terminé “Deep Sea Divers” ! L’esprit est similaire, mais en même temps, c’est différent. En bien mieux. L’album est l’exploration complète de ce son et ce style. Maintenant, je dois commencer à explorer d’autres styles, jouer avec d’autres jouets. On verra…

Lorsqu’on écoute ton album, une expression me revient : « Less Is More »

Je suis d’accord à 100 % (sourire). C’est pour cela que j’ai donné mon nom à l’album. Pendant longtemps, j’avais l’idée d’appeler cet album « Chansons pour des gens imaginatifs ». Une chanson comme “The Bomb Song”, c’est comme une image que l’on peut peindre à sa façon, avec ses propres couleurs. Beaucoup de mes chansons cultivent ce côté-là. Ce qui reste au final, c’est que je suis un nouvel artiste. Après avoir cherché pas mal de titres d’albums en quête d’une image de marque, je me suis dit, pourquoi pas ne pas simplement me présenter comme je suis, Darwin Deez. Je suis content que tu aies constaté ceci. Parfois, je me dis que certaines parties de l’album sont peut-être trop minimalistes. La prochaine fois, je tenterai peut-être une approche sonore plus étoffée, agréable, mais je dois maintenir cette intensité. C’est la clé.

Qu’entends-tu par intensité ? Conserver cette approche avec seulement une boite à rythme et une guitare ?

Peut-être que je devrais changer d’instruments, apprendre à jouer du piano. J’aimerais composer quelques chansons ainsi pour le prochain album. Ce serait bien, car je pourrais appliquer beaucoup de choses que j’ai apprises sur cet album. Si j’échangeais seulement la guitare contre un piano, cela sonnerait différemment. Et je me dois d’avancer. Un piano pourrait changer cette disposition, apporter un élément nouveau. Mais, en même temps je suis face à un dilemme, car les gens qui aiment cet album voudront retrouver ce son sur le prochain. Il faut que ce soit pareil mais différent en même temps.

Darwin Deez, Avril 2010

Comment te produis-tu sur scène ?

Je suis accompagné par un groupe. Nous sommes quatre, je joue de la guitare et je chante et il y a un batteur, un bassiste et une autre guitare. J’aime être libre sur scène, entre chaque chanson nous nous défoulons, dansons comme des idiots durant trente secondes. Ça fait partie du show.

Ton son de guitare est assez singulier.

Je suis un peu lassé de ce son, je l’ai tellement utilisé. Mais il y a aura définitivement des guitares dans le prochain album… Enfin je ne sais pas… C’est un mystère pour l’instant.

J’ai entendu dire que tu joues avec la même guitare depuis l’âge de 11 ans et que c’est avec celle-là même que tu as enregistré le disque.

Oui, c’est vrai, toujours la même Stratocaster (sourire presque gêné).

Je n’ose même pas imaginer ce qui arriverait si quelqu’un te la dérobait…

Non, ce ne serait pas si grave, c’est juste une guitare. Je suis quelqu’un de cheap, en fait. J’en avais acheté une autre pour 100 dollars, mais c’est exactement pareil. J’avais écarté cette vieille guitare pendant quelques années pour faire de la musique électronique, et puis j’y suis finalement revenu.


La YouTube sélection de Darwin Deez :

Darwin Deez nous commente ses vidéos favorites glanées sur YouTube.

Mystery Jets – “Z Doors Down”

Ce groupe assure. Ils jouaient également à Dublin lors de notre passage en avril. Mais quelque chose de bizarre c’est passé juste avant qu’ils montent sur scène ; je crois que le chanteur venait d’apprendre une terrible nouvelle. On voyait qu’il était complètement dévasté et je pense que cela lui a donné encore plus de charisme et a rendu la performance du groupe d’autant plus puissante. Ils sont cool, habillés à la mode seventies.

Scary Mansion – “No Law”

C’est le groupe de Leah Hayes, une camarade new-yorkaise. J’adore ce qu’elle fait. Elle était la petite amie d’Andrew et fait donc partie de notre petit cercle.

Creaky Boards – “You Turn Me Off”

Une chanson de mon ancien groupe Creaky Boards. Elle a été écrite par Andrew pour sa petite amie Leah. Et je crois que la chanson précédente de Scary Mansion que j’ai sélectionnée parle d’Andrew (rires).

NIN – “The Only Time”

Pretty Hate Machine est un très bon album. Une nuit, lorsque j’étais gosse, je me suis enfui de la maison de mes parents, et j’avais emporté avec moi ce CD dans mon discman. J’avais pris une couverture et passé la nuit à la belle étoile sur un toit, pas très loin de ma banlieue. L’escapade n’a duré qu’une nuit et mes parents ont eu bien sûr très peur (rires). Sur cette chanson, il y a la meilleure progression jamais utilisée dans une partie de claviers.

Paula Abdul – “The Way You Love Me”

Encore un très bon album de musique pop ; j’adore sa production. Sur Forever Your Girl, le premier album de Paul Abdul, il y a plein de superbes chansons. Ça ne date pas d’hier mais bon… Sinon, le premier album que j’ai acheté fut The Last Plash des Breeders.

Michael Jackson – “P.Y.T”

“P.Y.T.” et “The Way You Love Me” ont de superbes lignes de basse accrocheuses, la production est géniale. Ce sont des chansons jumelles d’une certaine manière, il y a beaucoup de vocoder et beaucoup de précautions portées à la production.

Player – “Baby Come Back”

(Il se met à chanter le refrain). Une “Killer seventies song” avec de superbes harmonies vocales.

TR-909 likes the TB-303 too

Ce n’est pas une chanson en fait, mais une vidéo YouTube. Une superbe vidéo que je vous recommande.

Hall & Oastes – “Portable Radio” (Yacht Rock)

Cette une chanson que je connais car je l’ai entendue sur une série Web humoristique. Ce sont, en fait, de faux documentaires sur le rock, un peu comme Spinal Tap. Le budget y est dérisoire, mais c’est à mourir de rire.

Darwin Deez, S/T (Lucky Number/Differant)

– La chronique de l’album

– Page Myspace

– Le site du label Lucky Number