Dans The War on Drugs, le The est essentiel, insiste Adam Granduciel. Selon le chanteur multi-instrumentiste, dont les traits du visage rappellent le Alan Vega suicidaire des débuts, leur nom serait sorti des pages d’un dictionnaire un soir plus arrosé que les autres. Une histoire banale, en somme. La musique par contre serait du genre à dérailler dans le bon sens. Leur premier album Wagonwheel Blues sort des chemins (de fer) tout tracés de l’americana, émulsion improbable entre Suicide et Dylan.


On serait presque déçu de ne pas pouvoir goûter sur scène à toutes les subtilités du disque, difficile à retranscrire par sa richesse de sons. Pour cette tournée, le groupe est réduit à la formule trio, le second guitariste bidouilleur Kurt Vile — architecte non négligeable du premier album — brille par son absence. Dommage. Un batteur à la frappe aussi spectaculaire que sa crinière noire longue et raide, se charge de combler le vide avec son sens du tempo magnétique…. Reste Adam Granduciel, l’étoile qui porte bien son nom, faisant subir à sa douze-cordes acoustique tous les outrages électriques, pédale de distorsion, wah… Magnétique. On n’arrête pas si facilement un train en marche.

Entretien donné à la Maroquinerie, le 25 février 2009.

Pas facile de trouver d’emblée votre groupe sur Internet, à cause justement du nom tiré d’une campagne de pub contre la drogue aux Etats-Unis.

Adam Granduciel : C’est vrai, mais je trouve que c’est une bonne chose. Il faut nous mériter ! (rires) Je m’en moque un peu en fait. De toute manière, ce n’est pas si difficile que ça de nous trouver sur Internet. Et puis d’un autre côté, je pense que c’est un bon nom de groupe.

David Hartley : Il n’y a plus de mystère avec Google. Aujourd’hui, tu rencontres quelqu’un et puis tu glisses son nom sur le moteur de recherche et tu sais pratiquement tout de lui.

Et maintenant c’est votre tour, nous allons tout savoir sur vous grâce à Pinkushion (rires).

Adam Granduciel : Bien (rires) ! Alors je veux bien essayer de parler en français, je connais quelques mots. (rires)

Comment se passe actuellement la tournée européenne ?

Adam Granduciel : Très bien, merci. C’est la deuxième fois qu’on vient en France, la première c’était à La Route du Rock, l’été dernier en août. Très impressionnant. Avant The War on Drugs, j’étais déjà venu jouer en Europe avec mon groupe précédent, notamment en Espagne, un très bon souvenir.

L’album est sorti l’été dernier et le groupe a reçu un très bon accueil critique.

Adam Granduciel : Lorsque l’album est sorti, le groupe n’en était pas vraiment un. Wagonwheel Blues, c’était un peu les fondations solos du groupe. Et puis nous avons tourné ensemble, l’été dernier en Angleterre et deux fois aux Etats-Unis, maintenant on est de retour en Europe. Dave, Mike Zanghi (batteur) et moi, on progresse chaque jour. Les six dernier mois furent très formateurs.

Au départ, The War on Drugs était davantage un projet studio.

Adam Granduciel : D’une certaine manière, oui. Au tout début, on donnait avec Kurt (ndlr : Vile, second guitariste/claviers) des concerts. Parfois, on jouait devant deux personnes, parfois six… parfois, même, il n’y avait personne. Mais ce n’était pas très important, car The War on Drugs n’était pas un groupe. L’album découle d’un long processus.

Le EP Barrel of Batteries sorti au début de l’année dernière, date initialement de 2004.

Adam Granduciel : Exact, c’était du « home recording ». Nous avons sérieusement commencé à travailler après ce EP, mais pas vraiment avant cela. Nous n’avions pas de label à l’époque, et je n’aurais jamais pensé qu’un jour quelqu’un écouterait ces chansons. J’enregistrais juste dans mon coin sans l’idée de savoir où tout cela me mènerait. C’est pour cela que ça a pris beaucoup de temps.

Barrel of Batteries est vraiment ton projet solo, tu y joues de tous les instruments.

Adam Granduciel : Oui, on peut parler de matériel « accumulé » dans ma chambre. Le disque est très court, il dure vingt minutes.

David Hartley : Adam accumule les enregistrements. Quand je l’ai rencontré pour la première fois, il m’a donné un CD avec 15 chansons qu’il avaient enregistrées dans sa chambre. Certaines figurent d’ailleurs dans ce EP. Mais il y en a bien plus. Et c’était déjà brillant.

Le EP était en téléchargement libre, une première il me semble chez Secretly Canadian. Cette décision résultait-elle d’une initiative collective ?

Adam Granduciel : Bien sûr. C’était super de le sortir ainsi. Parce que pour moi, ces chansons sont du passé. C’était peut être intéressant pour les 37 personnes qui l’ont téléchargé, ils savaient à quoi s’attendre pour l’album, ou avait entendu parler de nous.

Les chansons de l’album résultent-elles aussi de cette période qui a duré cinq ans ?

Adam Granduciel : D’une certaine manière. L’album a été terminé à la fin de l’année 2007, mais je dirais que les choses se sont déroulées sur une période de deux ans.

On sent une véritable progression avec Wagonwheel Blues. On passe d’une approche lo-fi à quelque chose de plus imposant en termes de production, d’espace sonore.

David Hartley : Cela aurait été la honte si ça avait été l’inverse (rires).

Et pourtant c’est souvent le cas… Combien de groupes sortent un EP prometteur puis trébuchent avec le long format.

David Hartley : Je pense que c’est une décision intelligente de la part du label que de sortir le EP. Il savait que le matériel était bon, que les gens seraient intéressés, mais que l’album serait meilleur.

Adam Granduciel : Lorsque nous avons signé avec Secretly Canadian, le label n’avait seulement entendu que “Arms Like Boulders” et “Taking The Farm”, ces deux-là étaient déjà terminés mais rien d’autre ne leur avait été envoyé. J’avais trois ou quatre morceaux qui étaient pour ainsi dire déjà terminés. Puis l’album a été enregistré en six mois. Deux chansons sont vieilles de quatre ans, trois autres ont trois ans, quatre autres ont seulement un an.

Ecrivez-vous d’autres morceaux actuellement ?

Adam Granduciel : Oui, mais davantage de musique que de mots. Ou alors des associations psychédéliques de mots, il n’y pas vraiment de chansons ou du moins d’ossatures. On expérimente beaucoup. Quand nous aurons de l’argent pour acheter du matériel d’enregistrement plus conséquent, les choses pourront se matérialiser. A la maison, je pars dans toutes les directions, je joue différentes pièces. J’évite les mélodies trop évidentes, choses à laquelle il m’était moins facile de résister avant (ndlr : il se met à chanter une mélodie un peu niaise). Un air comme ça, plus jamais, ou alors, on le passera à travers des sons sauvages (il se remet à chanter sa mélodie un peu niaise).

Comme Animal Collective ? (rires)

Adam Granduciel : Juste ! Mais en mieux (rires). En ce moment, nous jouons de nouveaux morceaux tous les soirs avec le groupe. Dans quelques mois, nous les enregistrerons.

David Hartley (basse) : Le son a commencé à un peu évoluer. Rentrer en studio pour sortir le disque quelques semaines plus tard, ce n’est pas notre manière de fonctionner. Et je ne pense pas que ce soit possible de toute manière. On a passé quelques jours en studio à Philadelphie avant de partir en tournée. Adam est toujours en train d’enregistrer chez lui, à trafiquer sur ses machines. Tout vient naturellement, mais ce n’est pas très organique…

L’album a été produit et mixé par vos propres soins, mais seriez-vous intéressés pour collaborer avec un producteur de renom ?

David Hartley (se rapprochant du micro) : Jeff Lynne, appelle-moi.

Jeff Lynne ? Hum pas vraiment un producteur doté d’une vision…

Adam Granduciel : Je dirais de mon côté Jack Frost et Daniel Lanois. Ils ont travaillé ensemble sur Modern Times de Bob Dylan. Ils ont fait un travail magnifique ensemble.

D’ ailleurs en parlant de producteur, le titre de la chanson « Needle in your Eye », ne serait pas un hommage caché à « Needles in the Camel’s Eye » de Brian Eno ?

Adam Granduciel : Hum… je suppose, je ne sais pas. C’est bien possible. Je suis fan évidemment de Brian Eno, mais je préfère sa collaboration avec Robert Fripp à sa carrière de producteur. Pour les albums No Pussyfooting et Evening Star. J’aime aussi la plupart de ses albums en solo, certains sont un peu trop pop à mon goût.

The War on Drugs se nourrit d’éléments électroniques, avec de complexes textures sonores, tout en s’associant à un format de chanson qui reste traditionnel. Le mélange est intéressant.

Adam Granduciel : Oui, c’est personnellement une sorte d’équilibre nécessaire, surtout lorsque tu passes trop de temps à travailler les sons et les enregistrer. Arrivé un certain moment tu satures et tu te dis, « plus de travail aujourd’hui !». Parfois je reste à la maison et j’écris des chansons, je veux dire dans le sens noble du songwriting. D’autres fois, ce que j’écris n’a aucun sens. Mais je ne connais rien de la théorie musicale, je suis capable de comprendre certaines clés, comment imbriquer mes sons et mes loops. Dans ma tête, je sais comment introduire une chanson avec ces sons, si par exemple la tonalité est en fa, etc. Souvent, je résonne de cette manière, « Tiens ! j’ai un échantillon de musique qui fonctionnerait pas mal avec cet accord en do ».

La dernière chanson de l’album, “Barrel Of Batteries”, s’étire sur plus de neuf minutes.

Adam Granduciel : Kurt et moi donnions un concert à New York, j’avais cet échantillon que j’utilisais depuis un certain temps où je m’amusais à chanter dessus. Je pense que nous l’avions seulement répétée deux ou trois fois auparavant. Ce soir là nous l’avons enregistrée, juste avec une guitare et ce sample qui n’arrête pas de tourner. Ce fut très rapide, on a juste laissé tourner la bande. Plus tard, nous avons rajouté quelques arrangements. En concert, Dave, Mike et moi la jouons généralement en deuxième position dans notre set list…

Adam Granduciel, à la tête du cartel americana chimique, The War on Drugs


Maintenant, j’ai quelques questions stupides à vous poser, cela ne vous dérange pas ?

Adam Granduciel : Pas le moins du monde (rires)

Si vous deviez prendre la route l’été pour un long voyage, quel album glisseriez-vous dans le poste de la voiture ?

David Hartley : Je dirais Music From Big Pink, The Band.

Adam Granduciel (pensif) : C’est l’été… une voiture. Je dirais probablement…

David Hartley : Je sais déjà ce que tu vas dire… (sourire).

Adam Granduciel :Time Out Of Mind. Ou bien Goats Head Soup des Rolling Stones. Est-ce que je peux avoir une fille avec moi ? Alors George Michael, Faith ! (rires)

David Hartley : Alors pour moi, ce serait plutôt Mystery Girl par Roy Orbison. Je citerais aussi un album de Jeff Lynne, je dirai Time d’Electric Light Orchestra. Tu n’aimes pas Jeff Lynne ?

Pas vraiment fan, ça dépend.. J’aime bien l’album de Tom Petty qu’il a produit, Into The Great Wide Open.

Ndlr : Adam Granduciel chantant avec verve « “Two Gunsligers” tiré de l’album

David Hartley : Quel album de Tom Petty choisirais-tu ?

Celui avec Rick Rubin vieillit plutôt bien, Wildflowers.

David Hartley : C’est probablement celui que je choisirais aussi, avec Damn The Torpedoes.

Adam Granduciel : J’aime spécialement “Wake Up Time”, c’est un peu niais mais j’adore cette chanson. Une autre merveilleuse sur l’album avec Rubin, c’est “Time To Move On” : juste un clavier, une guitare et cette rythmique un peu bizarre… J’adore cet album.

Si vous deviez choisir un album en avion ?

Adam Granduciel : (silence) Wagonwheel Blues, par The War on Drugs. Non, je plaisante (rires). Tout dépend de l’avion, si le voyage est pénible ou non. Si le voyage est pesant, je devrais choisir un album « heavy », sinon je prendrais un disque « soft ». Est-ce que j’ai le droit de fumer dans l’avion ?

Non c’est interdit. Pour le disque, ce serait plutôt quelque chose de relaxant.

David Hartley : Je dirais l’album Unplugged de Neil Young.

Une chanson pour chanter quand vous prenez une douche ?

Adam Granduciel : “Crying”, de Roy Orbison.

David Hartley : « Black is the color of my true love’s hair” de Nina Simone.

Une chanson pour le dimanche matin ?

Adam Granduciel : “Sunday Morning”, du Velvet Underground. Mais je suis habituellement toujours à l’heure du samedi soir, je rentre plutôt me coucher à ce moment-là.

David Hartley : “Shadows”, par Yo la Tengo. Une chanson pour la migraine.

Et pour le Samedi soir ?

Adam Granduciel : Quelque chose de heavy, comme Guns n’ Roses… ou Megadeth (rires). Symphonie of Destruction

Une chanson stupide que vous vous sentez coupable d’aimer ?

Adam Granduciel : “Hulkster in Heaven » d’Hulk Hogan.

Hulk Hogan ? Je ne savais pas qu’il pouvait chanter !

Adam Granduciel : Oh il ne peut pas, mais il le fait. Chanson stupide par excellence. Peut-être aussi “Hangin’ Tough” des New Kids on The Block. (Il chante le refrain «Ooooooooo ! Hangin’ Tough !»).

David Hartley : “Right Stuff”, “Wrong stuff” à la vérité !

Adam Granduciel : Un truc mauvais de Dire Straits ferait bien l’affaire aussi. Un peu facile, avec une production énorme. « Take It Easy » des Eagles, personne n’aime les Eagles, mais quand cette chanson sort des baffles, tout le monde sourit.

Une chanson qui résume la vie en tournée ?

David Hartley : “Wrecking Ball”, Emmylou Harris

Adam Granduciel : “Hotel California” (rires). Probablement, une chanson de Lightin’ Hopkins

Une chanson pour tomber amoureux ?

Adam Granduciel : “Hulkster in Heaven » (rires). Probablement que j’écouterais une chanson de Blood On The Tracks de Dylan. D’abord une chanson pour lorsque tu tombes amoureux, comme “Meet Me in the Morning”. Tu romps avec la fille, ce sera “Idiot Wind” ou “Tangled Up in blue”. Ensuite, tu reviens vers elle, et tu romps à nouveau… j’y mettrai l’album en entier. Ça a été un disque constant pour moi.

David Hartley : Pour moi, ce sera n’importe quoi de Sam Cooke.

Enfin, pouvez-vous me donner vos cinq albums favoris ?

Adam Granduciel : Tout dépend des saisons, de l’état d’esprit, mais sur le moment je dirais :

Burning Spear, Man In the Hills

Tom Petty, Wildflowers

Suicide, second album

Townes Van Zandt, Flyin’ Shoes

Creedence Clearwater Revival, Best Of

Et peut-être Lightin’ Hopkins…

David Hartley :

Bill Withers, Justments

Lee Hazlewood, Cowboy in Sweden

Ronnie Hawkins, The Hawk in Winter

ELO – Time

Led Zeppelin – House of The Holy

– Lire également la chronique de Wagonwheel blues (2008)

– La page Myspace du groupe