Désintoxiqué des addictifs War On Drugs, Kurt Vile signe un disque solo d’americana débridé, entre ascétisme bluegrass, rock rugueux et cafouillages électroniques lo-fi. Etonnante intrusion dans une musique située entre classicisme mélodique et errance sonore. Une re-révélation.


Ceux qui ont assisté à un concert des War On Drugs savent que leurs prestations live brutes de décoffrage ne rendent pas justice à la foisonnante densité sonore de Wagonwheel Blues, un des meilleurs albums de l’année 2008. Un rock americana déviant, inhabituellement habillé des perturbations synthétiques et bruissements lo-fi échantillonnés, ces « effets spéciaux » étant la partie du guitariste et bidouilleur Kurt Vile. Trop doué, le musicien a vite pris la poudre d’escampette en solo, tout juste après la parution de l’album. Seulement, nous mêmes, au moment de rencontrer ce consortium anti-drogue l’année dernière, ignorions tout du degré d’implication, crucial, de ce remarquable façonnier de sons. Aussi l’écoute de God Is Saving To You, premier album en solitaire délivré dans la foulée, fut un véritable choc auditif. Cet enfant de Philadelphie parvenait à compresser mille idées à la seconde dans un format « chanson ». Constant Hitmaker, second album autoproduit et livré dans un délai aussi court que le précédent, finit de susciter la convoitise de plusieurs labels prestigieux pensant tenir là un prodige décidément prolifique.

Sur ce troisième opus — dont le titre Childish Prodigy (trad : prodige puéril) s’inspire d’un article de presse — l’écrin sonore qui a fait toute l’originalité de Wagonwheel Blues est immédiatement identifiable. Toutefois, l’épaisseur émotionnelle va bien au-delà du simple décalque de War on Drugs. De cette greffe musicale contre-nature, prise entre les grands poètes routards du rock US (Dylan, Springsteen, Tom Petty…), matrice du son War on Drugs, et les électroniciens minimalistes Suicide/Eno, Kurt Vile semblait amener aux WOD l’influence atmosphérique et expérimentale — les qualités de songwriter étant naturellement attribués au leader Adam Granduciel. Du moins le supposions-nous en regard des deux premiers albums de Vile. Mais sur Childish Prodigy, Kurt Vile s’avère à son tour un compositeur inspiré, et de surcroît un fantastique guitariste bluegrass et électrique.

Bâti autour d’un riff cru et séminal, l’inaugural et instantané “Hunchback” pourrait signifier une tentative d’amadouer les ondes radios, mais reste trop décalé, voire noisy, pour rester platement consensuel. “Monkey”, du Springsteen lyrique et grandiloquent qui serait passé au travers d’une scie échantillonneuse, est un autre exemple de building pop attachante. Sur “Freak Train” (qui aurait pu être écrit par War on Drugs), Kurt Vile vient d’inventer le rock roots et ambitieux agencé sur PC portable. Un peu à la manière de Robert Pollard qui écrit de grandes pop songs débordantes d’énergie sur son vieux quatre-pistes à bandes, l’impression de grandes chansons compressées est similaire, même si le rendu n’est pas identique.

Qui plus est, Kurt Vile ne se cantonne pas à faire son grand numéro de rodéo, Childish Prodigy offre dans sa grande majorité de belles introspections nues. Seulement accompagné d’une guitare et d’une voix passée à travers un entonnoir, accentuant ce caractère sale et évanescent, “Dead Alive” ne cache pas une certaine beauté de l’épure, même si tout se termine drôlement sous l’effet d’une coupure de courant. Intarissable même dans ses dérives folk solitaires, Vile ne peut s’empêcher d’étaler sur ses folksongs quelques figurations élaborées à base d’écho effrité et autres mixtures brouillées. Sommet de ces collages caractériels, la folk samplée de “Blackberry Song” installe une puissance émotionnelle stupéfiante : on ne sait pourquoi, mais l’ultime scène de Thelma & Louise, tragique et irréversible, nous revient sur l’effet de cette bande-son imaginaire, souvenir lointain d’un visionnage sur une VHS. Croyez-le ou non, cette « classe » économique a son charme.

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– A voir et à écouter, ce drôle de clip amateur de « Freeway » :