Première collaboration entre l’ex Red House Painters et le multi instrumentiste anglais Justin Broadrick, où phrasé très personnel et déflagrations de riffs pesants provoquent quelques étincelles.


Imperméable à tout consensus, Mark Kozelek enchaîne à un rythme hors-norme les albums de Sun Kil Moon et diverses collaborations ou projets solos déviants. En dépit de cette hyperactivité qui pourrait donner le tournis à ses fidèles, l’ex Red House Painters continue pourtant de susciter l’intérêt grâce à des choix artistiques plutôt audacieux voire étonnants : on pense récemment au très beau Perils From the sea enregistré avec l’electronicien Jimmy Lavalle en 2013, un projet plus classique Desertshore, réalisé avec des anciens Red house Painters en 2014, suivi la même année d’un disque inattendu de reprises de Noël, paru sous son propre nom. Un nouvel album de reprises est d’ailleurs annoncé pour mai prochain, avec au programme des reprises de 10 CC, David Bowie ou encore Modest Mouse et des duos avec Mike Patton et Mimi Parker de Low…

Cette fois, le caractériel songwriter basé à San Fransisco a voulu frotter sa voix et sa prose aux guitares écrasantes et aux climats atmosphériques oppressants de Jesu, groupe emmené depuis plus d’une dizaine d’année par l’ex Godflesh Justin Broadrick (lui-même signé sur Caldo Verde, qui n’est autre que le propre label de Kozelek). Tout du long de ce pavé d’une durée tout de même avoisinant les 80 minutes pour 10 morceaux, la collaboration, si elle désarçonne aux premiers abords, s’avère une fois de plus étonnement aboutie.

En effet, la technique de confessions monocordes que Mark Kozelek affectionne depuis Benji (2013), est ici transposée de manière inhabituelle sur un mur de guitares saturées d’une épaisseur écrasante – tout du moins sur les trois premiers titres du disque. Face à cette pesanteur sonique érigée par le multi instrumentiste Justin Broadrick, l’approche frontale du parolier Mark Kozelek, se veut plus hyper réaliste que jamais. Il est vrai que dans cette approche d’interprétation très expressive, le phrasé importe plus que la mélodie pour donner vie à des textes si personnels. Le musicien californien, les mains libres et manifestement très à l’aise dans cet exercice, n’hésite pas à laisser éclater une colère sourde dans sa voix, sur « Carondelet », « Sally » et « A Song of Shadow ». Une carthasis électrique libératrice à plus d’un titre venant de cette voix jadis réputée si contrôlée et fluide. A contrario, l’ex Red House Painters se montre tout aussi enjouée sur le touchant “Last Night I Rocked the Room Like Elvis and Had Them Laughing Like Richard Pryor”, où le parolier/chanteur, lit une lettre d’un fan basé à Singapour et esquisse même un sourire lorsque son admirateur tire quelques fléchettes sur la presse britannique.


ll faut ainsi attendre le quatrième titre, pour que les riffs ultra pesants s’effacent et laissent filtrer d’autres ambiances, généralement dominées par des nappes synthétiques lumineuses et accompagnées d’une boite à rythme – tels « Father’s Day » ou encore « Beautiful You » respiration finale de près de 15 minutes, coincée dans une bulle ambient. Quant à « Fragile », seul titre du disque interprété à la guitare sèche, et dont on reconnaît le touché d’arpèges si sensible du virtuose de la six-cordes, on y entend surtout aux choeurs le vieil ami Bonnie Prince’ Billy. Outre l’ex Palace, Mimi Parker et Alan Sparhawk (Low), ainsi que l’Anglaise Rachel Goswell (Slowdive), font une apparition discrète sur le titre “Exodus”, lente dérive au piano de plus de neuf minutes, débouchant sur des choeurs gospel. Si on émettait quelques réticences sur son contenu (inspirée par la mort du fils de Nick Cave et plus largement par le thème de la perte d’un enfant), la composition s’avère très émouvante et évite toute trace de lourdeur, malgré encore une fois une durée que l’on pourrait estimer poussive. Mais d’aucuns n’ignorent que ce procédé de longueur voire d’étirement dramaturgique, a toujours été une des caractéristiques du style de Mark Kozelek, ce depuis les Red House House Painters.

Alors que le duo se produira le 22 février prochain à Paris, il est quasi acquis que cette première collaboration est amenée à durer, et devrait déboucher sur une suite dans un avenir proche.