Guitariste prodigieux en solo, membre fondateur du trio expérimental Pelt, figure de proue avec Ben Chasny (Six Organs of Admittance) du revival néofolk indépendant américain, Jack Rose est un personnage aussi mystérieux que son art est transcendant et intemporel. Combinant habilement folk, ragtime, improvisation blues, musique orientale et indienne, ce musicien érudit pousse dans ses derniers retranchements les préceptes de la guitare acoustique.


Son accordage inhabituel ainsi que sa technique du finger-picking (avec des médiators en acier) procurent un son dense et atmosphérique, proprement unique. Auteur de quatre albums solo depuis 2003 (Two Originals of …. – Red Horse, White Mule & Opium Musick et Raag Manifestos sont sortis en vinyle en quantité microscopique puis plus ou moins réédités en cd), on le range régulièrement en tant que digne héritier du guitariste américain John Fahey. Son dernier manifesto en date, Kensington Blues est encore une pure merveille, de plus en plus portée sur la composition instrumentale.

Sur papier, Rose pourrait s’apparenter à un musicien hermétique et rétrograde, mais son approche est pourtant visionnaire, uniquement au service des sens (troubles parfois même). Aux côtés de Mike Gangloff et Patrick Best membres de son groupe Pelt, Jack Rose publie régulièrement des disques fascinants, expérimentaux, véritables explorations soniques avec des instruments uniquement acoustiques, élaborant des drones naturels qui n’ont rien à envier au catalogue de Kranky Records et autres éminentes formations post-rock. On conseillera fortement de prêter une écoute au diabolique double album Ayahuasca (2001), très orienté/oriental, et Pearls From The River (2003), où Rose commence à y développer sa technique du finger-picking hypnotique.

De passage en Europe pour quelques dates, le trio Pelt se produit ce lundi 8 mars dans le quartier parisien d’Oberkampf, en show case à la galerie En Marge, quelques heures avant leur concert dans un squatt artistique de Belleville. Pour les non-initiés, les performances scéniques de Pelt pourraient paraître déroutantes, s’apparentant presque à un ancien rite mystique. Le trio, concentré, est assis autour d’un tapis et déploie une galerie d’instruments inconnus, aux origines centenaires, uniquement amplifiés par la reverb naturelle de la galerie. Leur folk atmosphérique nécessite ainsi un calme absolu de la part de l’audience présente dans la salle. La guitare de Jack Rose est l’instrument harmonique dominant, mais les improvisations du groupe les amènent à changer d’instruments en cours de concert. L’un des artifices musicaux les plus étonnants du lot reste certainement le « singing bowls » – tel qu’ils le surnomment – : des boules qu’ils emploient simultanément en les frottant de manière circulaire comme on ferait sonner un cristal. L’effet procuré est saisissant.

Après la prestation, nous tenons à saluer le groupe et inviter Jack Rose pour éventuellement lui poser quelques questions, ce qu’il accepte généreusement malgré des contraintes de temps qui ne nous permettront pas d’aborder plus en profondeur certains sujets. Très cordial, le guitariste s’avère néanmoins peu bavard quant à sa personne, plus enthousiasmé par ses mentors…

Le trio Pelt. Jack Rose second trublion en partant de la droite.

Pinkushion : Est-ce que c’est une situation familière pour le groupe que de jouer dans des galeries d’art ?

Jack Rose : Certainement. On l’a fait des tonnes de fois dans des magasins de disques, des librairies ou des galeries. Au tout début de Pelt, en 1995/ 1996, c’était d’ailleurs les seuls endroits où nous nous produisions.

La prestation du show-case semblait complètement appuyée sur l’improvisation.

Certaines choses ont été improvisées ce soir. On a commencé avec un morceau que j’ai composé et puis ça a évolué sur quelque chose de complètement différent.

Si tu devais comparer tes disques solo et ceux avec Pelt ?

Le projet solo est plus ou moins composé, en tout cas en grande partie. Tandis qu’avec Pelt, c’est bien plus improvisé. C’est la différence principale. (rires)

Tes disques solo sont connectés avec John Fahey, tu as d’ailleurs repris un de ses morceaux sur ton dernier disque solo et joué avec Pelt sur un disque hommage (I Am The Resurrection sorti chez Vanguard Records cette année), ainsi qu’écrit quelques notes sur le livret du disque live The Great Santa Barbara Oil Slick.

Oui, je suis un grand fan de John Fahey. Mon ami Glenn Jones (ndlr : éminent guitariste acoustique, membre de Cul de Sac, avec qui John Fahey a notamment collaboré) a écrit les notes du livret, je suis juste crédité dans les remerciements. C’est un très grand live de 1968, est-ce que tu l’as ? C’est un superbe album.

Et qu’est-ce que John Fahey symbolise pour toi ?

L’Amérique. (long silence). Tout est possible… et aussi l’histoire de l’Amérique.

Est-ce que tu penses qu’il a été sous-estimé ?

Non. Beaucoup de personnes adorent John Fahey. Nous sommes tous de grands fans au sein de Pelt et nous jouons sa musique. Elle peut être très aventureuse mais aussi sous certains aspects plus accessible, plus mainstream. Par contre, un guitariste qui est très sous-estimé, c’est Robbie Basho. Plus personne ne semble s’intéresser à lui, et pourtant il fait partie des meilleurs musiciens contemporains au même titre que John Fahey. C’est un de mes guitaristes préférés.

Est-ce que tu as déjà chanté ?

Non, je n’ai jamais chanté, j’ai déjà fait quelques vocaux rythmiques avec Pelt, mais ça s’arrête là. Je ne peux tout simplement pas chanter et puis je n’écris ni ne lis de poésie donc ça n’a aucun sens. Si je pouvais chanter, je le ferais, mais je ne peux pas, donc je ne le fais pas. (rires)

On associe souvent ta musique avec celle de Ben Chasny (Six Organs of Admittance).

Ben Chasny est un ami proche. Je ne le vois plus très souvent car il vit en Californie et je suis sur la côte est. Durant cinq ans, nous avons souvent joué ensemble. C’est vraiment un chic type et je trouve que ses disques sont vraiment bons. Qu’il soit en formation acoustique, électrique ou avec un groupe, ce qu’il touche n’est jamais mauvais.

Vous avez tous deux une conception différente en matière de distribution de disques. Souvent, vos albums sortent en quantités très limitées et pressées sous format vinyls. Est-ce que cela vous satisfait ?

Certainement. La raison pour laquelle ces disques sont très limités, c’est que nous ne pensions en vendre qu’une certaine quantité au départ. Ce n’est pas intentionnel, si tu penses vendre 400 ou 500 disques, ce n’est pas la peine d’en presser 1000 et en laisser la moitié de côté. Certains groupes le font très bien maintenant car ils ont signé chez Drag City (Six Organs of Admittance, August Born), tout cela est en train de tourner au mieux.

Est-ce que ces disques disponibles en quantité limitée sont pressés de manière artisanale ?

Non… les pochettes sont imprimées puis ensuite passées sous presse, les Lps également. En ce qui concerne l’artwork, j’ai déjà une idée du concept – mon second album a été élaboré dans cet esprit. Tout ce que je fais avec les disques, c’est de choisir l’artwork et de me charger d’écrire les crédits. Contrairement à ce qu’on pense, je ne customise pas les pochettes ou quoi que ce soit de ce genre.

Comment se déroule la distribution de tes disques en Europe ?

J’ai un deal en Grande Bretagne avec le label Beautiful Happpiness, basé au Pays de Galles. Je les ai rencontrés pour la première fois il y a deux ans à New York et depuis ils se chargent de promouvoir mes albums en Angleterre.

En France par exemple, il est très difficile de se procurer tes disques.

Ce n’est pas mon problème, tu sais. (rires) On peut se procurer mes disques en passant par eux en Angleterre ou dans des magasins de disque spécialisés. Mais je ne vis pas ici, donc je ne sais pas.

Quels sont tes projets à l’avenir ?

Je vais retourner aux Etats-Unis pour une tournée solo avec Fursaxa durant deux semaines et demi. Après ça, il y a quelques dates à Terrastock en avril et peut-être une autre tournée en mai. Ensuite, je vais certainement m’atteler à mon prochain album cet été. Enfin, en septembre, je vais certainement faire une tournée sur la côte ouest.

Est-ce que tu as déjà une idée de la direction du prochain album ?

J’ai quelques idées de comment ça sonnera, mais c’est trop tôt pour le dire. J’ai déjà écrit deux ou trois chansons, mais je ne sais pas si elles figureront sur l’album. A ce stade, tes suppositions sont meilleures que les miennes…

Peux-tu me donner tes 5 albums favoris ?

Lorsque je suis en tournée, j’écoute en général beaucoup de musique, je peux donc te donner les 5 albums que j’écoute particulièrement en ce moment :

John & Beverly Martin, Stormbringer. Un super album.
The Doors, tous leurs disques.
Les premiers albums de Jandek. C’est de la musique Jandek, il ne sonne comme personne d’autre au monde.
J’ai aussi un peu écouté le nouveau Espers, et c’est tout.

Le site de Jack Rose sur le site de VHF records