Troisième album de la formation de Bristol emmenée par Nick Talbot et second dévoué à l’électricité. Un disque de genre à la profondeur de champ insoupçonnée.


Etonnant parcours que celui de Gravenhurst : un superbe premier album mature de folk hanté, un second en forme de passage de relais électrique, appuyé d’un contrat chez Warp, label pointu d’Aphex Twin et Boards of Canada. L’appel de la fée électrique sur Fires in Distant Buildings surprenait ses inconditionnels par sa carrure gothique et ses effluves noisy, une véritable libération pour le Bristolien. La carrière de Gravenhusrt prenait alors un tournant contraire aux règles d’évolution du folksinger éploré. Pourtant, si Nick Talbot détient plusieurs cordes musicales à son arc, son univers reste intimement lié à son éducation au rock alternatif. Comme s’il avait du mal à se détacher de ses amours de jeunesse, les influences slowcore des Red House Painters et noisypop de My Bloody Valentine restent inscrites dans ses gènes.

Si le genre fait écho à des noms illustres, la valeur ici se mesure autant – si ce n’est plus – par l’exigence du songwriting. Au fond, Gravenhurst continue toujours d’écrire des folksongs à l’esthétique moderne en incluant des teintes rock, prolongeant la lignée noble d’un Neil Young et d’un Mark Kozelek… Sur ce dernier point, l’inspiration de Talbot ne sèche pour ainsi dire jamais. Conforté par son écriture, son trio continue d’édifier une chapelle sonore sur les fondations solides de Fires in Distant Buildings. Le son brumeux limite cold wave déborde vers d’autres horizons plus larges. Au premier abord frileux, The Western Lands dégèle dès lors que l’on commence à mesurer l’importance portée aux détails et ses nuances électriques. Les territoires désolés de The Western Lands révèlent une beauté mystérieuse.

Nick Talbot demeure un songwriter constant et talentueux, prompt à l’expérimentation, mais dans un cadre bien délimité. Ainsi “She Dances”, seconde et ambitieuse plage de l’album, est une époustouflante démonstration des acquis du trio, une superposition de sentiments antagonistes : un riff clair mais suggestif s’enfonce vers l’inquiétant, au gré de plages diffractées et sourdes. Le chant de Talbot, qui ne fait son apparition que deux minutes après le début du morceau, contraste par son calme et ses paroles innocentes. L’effet est saisissant. Autre accomplissement, l’instrumental “The Western Lands” possède une dimension épique morriconienne très intense. « Trust », spectaculaire single, rivalise quant à lui avec les préceptes silencieux de Low, une escalade lente où le chant clair ondoie sur une reverb quasi mystique.

Mais chassez le naturel, il revient au galop. Toujours redevable de ses amours de jeunesse, Talbot veut démontrer qu’il peut faire mieux que ses modèles, et insiste : “Hollow Men” est un évident décalque de la violence noisy de Sonic Youth en passant par le « Isn’t Anything » de My Bloody Valentine, Talbot s’amusant à malmener sa pédale de distorsion pour déverser une cascade shoegazing vertigineuse. Le contrôle du bruit blanc est absolu. Dans l’ordre des choses, nous ne sommes pas vraiment étonnés d’entendre une reprise de “Farewell, Farewell”, instant de grâce du séminal Liege & Lief des pionniers folk/rock Fairport Convention. Cette prière trouve ici une seconde jeunesse au contact de la voix diaphane de Talbot, baignant dans des halos de larsen purs et aliénants. Frisson garanti. La grâce de Gravenhurst nous sanctifie.

– Le site de Gravenhurst