Retour de ce trio d’orfèvres de la brit pop et des mélodies démantelées, avec un album long en bouche, paradoxalement aussi épuré que varié. Un double opus ambitieux dont il faut prendre la pleine mesure.


Trois ans de silence radio, sans trop savoir si cette formation nordiste de Sunderland (Angleterre) avait opté pour un hiatus ou s’était tragiquement disloquée. Quelque part entre les deux, prendre ses distances loin des contraintes de calendriers est parfois nécessaire afin de se régénérer créativement. Durant cette parenthèse, le groupe des frères Brewis, Peter et David, et d’Andrew Moore n’a pour autant pas chômé, chacun vaquant à différents projets, remarquables (The Week That Was, John Monroe), voire épatants (la pop à émulsion chimique de School of Language).

Ce retour salutaire aux affaires est manifestement porté par une sacrée poussée d’inspiration, notamment d’ordre quantitative. Outre le fait que le trio soit devenu entre-temps un quintet — avec Kev Dosdale (guitare, claviers) et Ian Black (basse) –, le contenu du successeur de Tones of Towns met la barre assez haut : une double ration de nectar pop, vingt compositions, le tout totalisant une heure et onze minutes. Beaucoup diront que l’album est trop long. Surtout pour une formation qui aime donner à ses lignes mélodiques du fil à retordre, et par prolongement, à ses auditeurs. Toujours est-il qu’on ne peut que rester admiratif devant la somme accomplie, car le trio n’est pas du genre à faire du remplissage.

Measure est le genre de disques qui ne s’écoutent pas distraitement en lisant du James Joyce ou du Samuel Beckett. Ce pavé nécessite une attention de tous les instants. Telle une sorte de John Doe de la brit pop, la formation multi-instrumentiste de Sunderland déploie une science incroyable de l’écriture et des progressions tarabiscotées. Pourtant, il se perçoit chez Field Music une forte volonté d’alléger son propos. C’est dans une forme brute — l’artisanal guitare/clavier/batterie — que se présente la grande majorité des nouvelles compositions. Si le son général des deux précédents opus prêtait allégeance aux productions mods britanniques (The Kinks, The Zombies), Field Music s’ouvre à de nouveaux champs rock possibles, dans un drôle de ping pong entre l’après-punk de 1979, l’âge d’or de la pop psychédélique (1968) et aujourd’hui. Rentrer dans ce labyrinthe signifie qu’il faut s’investir, assimiler la foison de contre-pieds qui nous attend. Les chansons excèdent rarement les 3 minutes 30, mais elles constituent à chaque fois d’audacieux défis. A la manière imprévisible d’un XTC ou d’un Todd Rundgren, le trio savant prend un malin plaisir à jouer, voire déjouer, les faciles ficelles du refrain évident : le rêche “Each Time Is A New Time”, avec son chorus puissant qui déboule génialement trop tôt et procure chaque fois, malgré les écoutes répétées, l’effet de surprise.

Étonnant contraste que ces harmonies douces effleurées avec ce son clair, plaqué de cordes électriques, sujet d’agencements complexes. On imaginait ces Britanniques toujours souriants, élégants, “In the Mirror” projette au contraire de sombres vibrations sur fond d’entrelacs de guitare fantomatique et d’un stressant piano herrmannien qui accentue un malaise tangible. Leur mission de recyclage accouche d’un modernisme stupéfiant : “Let’s Write a Book”, quelque part entre les Talking Heads et le Herbie Hancock de la même période, démontre une maîtrise de la pulsation groovy qu’on ignorait d’eux jusqu’ici. L’éthéré “Lights Up”, nappé de mellotron, pourrait porter la signature de Mark Hollis en solo. Enfin, les arrangements de cordes — luxuriants sur les deux opus précédents — ne font donc qu’une brève apparition lors d’une approche clinique inédite, notamment sur le très beau morceau titre de l’album et sur le finale “It’s About Time”, qui fait l’objet d’un traitement digne d’une musique de chambre de Béla Bartók.

Au terme de ces 70 minutes, le pari demeure aussi ambitieux que risqué. Il est un peu regrettable de devoir tout ingurgiter d’une traite, comme devant une pièce-montée délicieuse que l’on se doit de terminer entièrement lors du festin. On conseille donc de mettre quelques parts dans le frigo et de s’attaquer à un morceau, puis d’y revenir plus tard. Une chose est certaine, ceux qui aiment savourer lentement prendront le temps d’apprécier. Les autres, trop impatients, battront en retraite rapidement. Dommage, ce serait du gâchis, en regard de la qualité indéniable de cet album démesuré.

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