Après deux disques, odes à la grisaille cérébrale et au rock noisy, Expérience s’amuse (enfin !) en reprenant quelques artistes figurant à son panthéon personnel + un documentaire DVD. Au grand bonheur des malheureux occidentaux.


Lorsqu’un groupe comme Expérience décide de se frotter à l’exercice du disque de reprises, on imagine bien qu’on n’aura pas affaire à une succession de standards jazzy repris façon Rod Stewart crooner permanenté ou bien un hommage façon Liebig à Daniel Balavoine par la Star Academy. Généralement pour un artiste mainstream, ce genre d’album sent la fin de contrat ou la rentrée pécuniaire facile, une démarche qui ne rentre évidemment pas dans le moule activiste d’Experience. Pourquoi ? Parce qu’Experience a une identité assez forte pour vampiriser le genre et transformer l’entreprise en véritable album. Et bien sûr, histoire de se démarquer encore plus du lot, il y adjoint un copieux documentaire DVD, long d’une heure et demie.

Après deux albums à la noirceur durement égalable, le groupe de Michel Cloup et sa bande s’est offert un peu de bon temps en sélectionnant quinze chansons parmi ses favorites. A quelques rares exceptions, chaque reprise offre une version radicalement différente de son originale. Une bonne moitié de la sélection provient d’artistes revendicatifs, dont cinq sont issus du rap : Ol’dirty Bastard, Supreme NTM, Kool Keith, A tribe Called Quest (une version instrumentale de Buggin’Out) et enfin les indétrônables Public Enemy. Ce choix de la part d’une formation à guitares s’avère guère surprenant lorsqu’on connaît leur univers, notamment leurs textes récités à haute voix, dénonciateurs de l’étouffement social, de la spirale du « métro, boulot dodo », bref, de la grisaille urbaine. D’ailleurs, le prémonitoire “Qu’est-ce qu’on attend” (pour mettre le feu) de NTM, repris ici, résonne particulièrement à nos oreilles en cette période trouble d’émeutes dans les cités. Dans le mille.

Pour la première fois, l’ancien Diabologum s’essaie à la langue de Shakespeare. Ces radicaux d’extrême rock se paient ainsi une bonne tranche de délire sur la reprise assez fidèle du “Fuck you Man !” de Pussy Galore (légendaire groupe hardcore de Jon Spencer) couplé à un autre illustre classique de la revendication, “FU-MF” de Kool Keith. Cloup semble prendre un pied incroyable à hurler en anglais, lui qui nous habitue généralement à rester passible derrière son micro. L’amour des guitares dissonantes – école Sonic Youth – est assouvi avec une version martiale de Shellac (groupe de Steve Albini), dont les guitares tranchantes de Widy Marché font merveilles, le duo guitaristique Marché/Cloup demeurant véritablement l’un des plus redoutables de l’hexagone. Autrement surprenant, une relecture relativement pop (un piano mon dieu !) du “Collect The Diamonds” des très éphémères Q an Not U.

Histoire de boucler la boucle, Expérience se réapproprie également des textes anglais dans la langue de Molière, avec une certaine dextérité. “La Revolution (ne sera pas télévisée)”, brûlot de Gil Scott Heron, réadapté ici en Français est l’un des textes les plus marquants de l’album. Il faut aussi saluer la transcription du “I see a Darkness” de Bonnie Prince Billy (immortalisé depuis par Johnny Cash) dont la moiteur écorchée n’a pas perdu au change (« Alors tout devient sombre, si tu savais combien je t’aime »). Expérience vampirise totalement « Le brouillard » de leurs amis Mendelson, issus du défunt label Lithium (qui regroupait également Programme d’Arnaud Michniak).

Enfin, au rayon bizarreries incongrues, on s’interroge toujours sur la pertinence d’une reprise des médiocres Soul Coughing (dont on pensait d’ailleurs que seul le français Kent se vantait d’être fan en France, visiblement ils sont deux) ainsi que le thème du film Dodeskaden, de Kurosawa, anecdotique.

Une fois rangé le CD dans son étui, on peut aussi zieuter le joli DVD, intitulé Negative karaoke with a smile et monté par leur guitariste Widy à partir d’images collectées lors de la dernière tournée. Le film est assemblé sous forme aléatoire de collages, entre séquences live et scènes routinières (embouteillages, attentes interminables dans les loges, émission TV ridicule en Espagne…). Un véritable rêve de rock-star personnifié… Ce docu est surtout l’occasion de peser l’humour un brin cynique du groupe, plutôt lapidaire, (la journaliste espagnol sait de quoi on parle !). Enfin, last but not least, notre séducteur et fidèle chroniqueur Freduti figure au menu du DVD, l’espace de 5 secondes lors d’un entretien dantesque avec Mr Cloup (allez, on vous file le tuyau, 11 min après le début). Avis aux demoiselles.

Finalement, ce Karaoke singulier est certainement le meilleur moyen pour Experience de donner un peu de légèreté à son image parfois un peu pesante, lourde à porter – toute proportion gardée.

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