« Winter is coming… »


Après nous avoir soufflé au creux de l’oreille deux élégants EPs, His Young Heart (2011) et The Wild Youth (2012), le premier album du trio Britannique emmené par l’envoûtante Elena Tonra nous entraîne dans un vertigineux tourbillon émotionnel. En effet, tous les éléments semblent avoir été réunis pour que Daughter soit à considérer très sérieusement. Tout d’abord pour la présence de Elena Tonra,beauté froide dont la timidité digne de Hope Sandoval, paradoxalement, ne laisse pas indifférent. Ensuite pour leur signature chez le prestigieux label indépendant 4AD ainsi que l’équipe pointue réunie autour de ce premier album : à la coproduction les très sollicités Rodaidh McDonald (The XX, Adele) et Jolyon Vaughan Thomas (M83). Et enfin, le pointilliste Ken Thomas (Sigur Ros, M83) en charge du mixage. Tout cela met assurément la puce à l’oreille.

L’intérêt porté par 4AD pour ces nouvelles recrues originaires de l’Albion n’est guère étonnante en soit, en regard de son illustre passé. Le label des Pixies est aussi celui de très grande voix du rock indépendant briton, telles les divines Liz Frazer (Cocteau Twins) et Lisa Gerrard (Dead Can Dance). Si il est évidemment encore bien trop tôt pour mesurer Elena Tonra à ces deux figures historiques, on peut toutefois entrevoir chez elle une certaine continuité artistique : une voix fragile emplie de grâce, une appétence pour le spleen crépusculaire, voire solennel (le final « Shallows »).

Depuis l’intimiste premier single « Landfill » paru en 2011, Daughter s’est échiné à bâtir une spectaculaire cathédrale sonore. Avec le renfort des producteurs mentionnés plus haut, le trio est parvenu sur If You Leave à un équilibre ténu entre folk réverbéré, shoegazing et nappes ambient. Leurs ballades véhiculent une science subtile de l’apesanteur, notamment sur le triplé d’ouverture, « Winter », « Smother » et « Youth » qui l’une après l’autre enfoncent le clou émotionnel. Cette impériale mise en espace, on la doit au guitariste et coproducteur Igor Haefeli, capable d’emmener les arrangements autant vers des terres dissonantes salvatrices – « Lifeforms » et son vertigineux chaos de feedback –que vers une certaine épure –  » Human ».

Même si dans le fond Daughter n’invente rien – il serait facile de les taxer de Bat For Lashes cérébrale – il y a une intensité et une exigence dans cette musique qu’on ne peut certainement pas leur enlever. Si quelques doutes il y a, ils se lèvent passés quelques écoutes, le charme prend le dessus. If You Leave porte le sceau de ses disques fait pour durer.

« L’hiver arrive », chante Elena de sa voix de velours sur l’inaugural « Winter », et c’est comme si un manteau se posait sur nous en plein blizzard…. C’est aujourd’hui le printemps, mais on veut bien encore retenir l’hiver pour Daughter.