Crême de l’indé américain ou tarte à la crême ? Voilà un projet pharaonique sur papier qui promettait tout et son contraire. Au final, un excellent album, superbement produit, idéalement interprété et illustré par de belles photos. C’est tout ? Pas si sûr…


Avant toute chose, tant que EMI n’a pas eu le dernier mot, et puisqu’un bonheur simple ne se refuse pas, c’est ici que ça se passe.

Deuxième source de plaisir, le casting. Alors autant l’égrener immédiatement. Paroles et musiques : Mark Linkous (Sparklehorse, what else ?). Production : Danger Mouse (Gnarls Barkley, Gorillaz #2). Illustration : David Lynch. Interprétation dans l’ordre d’apparition : Wayne Coyne (Flaming Lips), Gruff Rhys (Super Furry Animals, Neon Neon), Jason Lytle (Grandaddy et… Jason Lytle), Julian Casablancas (The Strokes), Black Francis (Charles Thompson), Iggy Pop (Jean Osterberg), David Lynch (et oui ! et joliment encore), James Mercer (The Shins), Nina Persson (A Camp, Cardigans), Suzanne Vega et Vic Chesnutt.
Voilà du beau linge, on en convient aisément. Inutile de préciser que chacun accomplit sa tâche, et du mieux qu’il peut vu la tronche des boss. Peut-être pourrions-nous juste avancer que certains le font mieux que d’autres : ainsi Wayne Coyne et Jason Lytle qui crèvent le plafond, ou bien Julian Casablancas au mieux de sa forme dans la coolitude absolue. En fait, au-delà de cet alignement de vedettes au micro, ce qui intrigue le plus ici c’est incontestablement le retour aux affaires de Mark Linkous.

En effet, nous nous demandions comment reviendrait ce grand misanthrope, dépressif et visiblement pas totalement remis de son accident. Car son dernier effort en son nom propre nous inquiétait vraiment : Dreamt for Light Years in the Belly of a Mountain (2006) était, sinon un album raté, du moins un album fainéant, bricolé avec de faux inédits et de vraies chansons poussives, soit pour le dire trivialement, un bel album résolument chiant. Bref, Sparklehorse était à la ramasse, et vu la classe de l’artiste (pour les plus jeunes, Vivadixiesubmarinetransmissionplot ou Good Morning Spider sont incontestablement deux des plus beaux albums indie des années 90, toutes nations confondues), il y avait vraiment de quoi sortir les chrysanthèmes. Et en cela, Dark Night Of The Soul, d’un point de vue écriture, est un vrai baume pour nos petits cÅ“urs déchirés.
Inutile de le rappeler, Linkous en forme est capable de livrer les ballades les plus bouleversantes qui soient, et même de les réunir sur un seul et même album — cf. It’s A Wonderful Life. A ce titre, Dark Night Of The Soul est une malle aux trésors : “Revenge”, “Just War”, “Jaykub”, “Everytime I’m With You” sont à elles seules les vraies raisons de se procurer ce disque, quitte à payer pour cela. A la manière contemplative ou à la sauce psyché, matutinales ou crépusculaires, vivantes ou meurtries, bidouillées par Danger Mouse ou magnifiées par les claviers et les six cordes du taulier, chacune de ces vignettes mid ou down-tempo parlent le langage des anges, même déchus. Mark Linkous a retrouvé la grâce de l’écriture de la plus belle manière qui soit. Nous voilà réconciliés avec le désespoir.

Le deuxième visage de Sparklehorse, c’est le rock, le brutal, le concis. Ici, livré à trois des tireurs d’élite que compte la planète punk-rock, il respire la santé mais fleure encore la rééducation. Si “Little Girl” est une drôle de galéjade au cours de laquelle Linkous semble se déguiser en Casablancas, “Angel’s Harp” et “Pain” ne sont à proprement parler intéressantes que pour leur interprète, plombées par le spectre des précédentes réussites bruitistes de leur auteur. Après ce petit passage à vide, virage légèrement pop moyennement abouti, trop connoté, trop référencé — “Insane Lullaby” semble taillée sur mesure pour James Mercer, or pour cela, il y a les Shins. Ce qui surprend à moitié tant Mark Linkous aime à répéter qu’il n’aime pas la pop, alors même qu’il en devient un des plus grands ambassadeurs, car que fait-il d’autre sinon de la pop, ici ?
On se concentrera pour finir sur le dernier visage de l’avatar de l’homme à la tête de cheval, le psychédélisme morbide. Et à nouveau le rescapé revit sur ce projet, en deux titres. “Grim Augury” et le titre éponyme sont des veuves noires parées de leurs plus beaux habits, somptueuses boules de venin, déchirant le ciel de leur lourde cloche ou de leur guitare funèbre.

Bien sûr, on n’oubliera pas la production de Danger Mouse. Tout en subtilité, il apporte une myriade de petites sonorités qui viennent habiter la moindre aspérité laissée par les mélodies malades de Linkous. Ou alors, c’est l’usage d’un craquement de 33 tours qui apportera à la chanson son côté le plus ambigu — le titre éponyme. Sa science du dimensionnement des effets de clavier est également un atout indéniable de ce projet tant on pense voir les spectres, d’ordinaire emprisonnés dans le cerveau de l’auteur, fureter ici et là, maniant la fourche ou le couteau avec une lueur morte dans le regard. Tout le talent de Danger Mouse, on le sait, est de capter l’idée motrice de l’auteur avec lequel il travaille et d’en faire autre chose, le transporter au bout du chemin, poussant des portes que l’auteur lui-même s’interdirait d’ouvrir. Forcément, avec Mark Linkous, le champ des possibles est tout simplement infini, et l’on sent qu’aujourd’hui le producteur prend un plaisir immense à se perdre dans les circonvolutions cérébelleuses de son acolyte. Et nous avec.

Finalement, ce qui cloche dans ce disque c’est peut-être qu’à trop chercher, Linkous se perd un peu en route. Probablement que cette impression diffuse de bric à brac aurait été sérieusement atténuée si chaque chanson était portée par une seule et même voix, en l’occurrence la sienne. Et l’effet de palette musicale recherché s’en trouve exagéré. La démonstration de force est empêtrée dans sa multiplicité d’interprétations. Dommage.
N’empêche, l’écriture est à nouveau au rendez-vous, et l’on goûte enfin les fruits de l’association géniale Linkous/Mouse. Peut-être le même album interprété par son auteur à l’identique nous convaincrait-il définitivement ?

– Le site du projet

– En écoute, le titre d’ouverture, “Revenge”, par Wayne Coyne :

– A noter que Sparklehorse a une autre actualité puisqu’il s’est associé à l’Autrichien Fennesz pour un projet en duo : Sparklehorse + FenneszIn the Fishtank