Nouveau protégé de Sufjan Stevens, un touche-à-tout conçoit un folk hanté désorienté, trituré de bruitages, orchestrations et voix d’outre-tombe. A la fois surréaliste et glaçant.


Heavy Ghost : esprit pesant, fantôme lourd en somme… Le mariage des deux mots ne semble explicitement pas signifier grand-chose et serait même contradictoire dans sa formulation. Aussi faut-il vraiment écouter ce disque, indubitablement hanté, pour saisir un tant soit peu ce qu’il en ressort derrière ces mots et l’esprit complexe de DM Stith. Car David Stith, ce garçon de Bloomington, n’est pas le genre à entretenir le rationnel, ce serait même tout son contraire. L’américain chérit les équations mélodiques irrésolues, les fascinants problèmes en état de chantier perpétuel. Issu d’une famille de musiciens et enseignants de musique classique, avec un père directeur de choeur d’église, Stith ne développe pourtant ses qualités de musicien que sur le tard. En conséquence d’un héritage familial peut-être trop lourd à porter, il préfère en effet développer sa fibre artistique ailleurs, vaquant à d’autres disciplines comme le dessin (la pochette est de lui), la poésie…

Serait-ce là la clé de son folk labyrinthique et indiscipliné, de ses errances agitées émissaires d’une prose onirique précoce ? Toujours est-il que ses premiers pas professionnels dans la musique ne se font pas au crédit de ses qualités de musicien, mais en humble technicien de Pro-Tool pour la première chevauchée en solo de Sarah Worden, alias My Brightest Diamond, sur Bring me The Workhouse. Révélé par cette expérience, David Stith cède enfin pour libérer ses frustrations musicales et s’emploie rapidement sur son ordinateur à amonceler de singulières épopées folk psychédéliques. Son premier album, jamais paru, serait le fruit de ce premier mois prolifique. Ses démos suscitent suffisamment l’enthousiasme de son amie et petite marraine Sarah Worden, pour le(s) présenter à Sufjan Stevens. Le cogérant d’Asthmattic Kitty le signera sur la foi de deux chansons.

Dans la droite lignée de son premier EP Curtain Speech l’année dernière, Heavy Ghost donne la sensation insistante d’admirer un imposant monument entouré d’une épaisse brume, duquel il serait bien difficile de distinguer les fondations. Effet saisissant, magnétique, que sentir cette masse impalpable et ces harmonies gommées qui ne semblent rejoindre aucun point… Les références se font d’autant plus rares lorsqu’il s’agit de rapprocher le laboratoire de DM Stith à d’autres contemporains. A peine pourrait-on avancer quelques hypothétiques voisins de couloir : le Department of Eagles, Richard Swift (tous deux ont un timbre identique) heureux comme un gamin dans sa panoplie du parfait « chimiste », ou encore Patrick Watson, autre maître du dédale onirique. A la différence qu’aucun d’entre eux ne maîtrise comme Stith le délicat enchevêtrement des voix : Heavy Ghost se veut une prosopée harmonique nous entraînant dans un tourbillon de choeurs fantomatiques, de gospel féminin ensorcelant et de jeunes choristes à la croix de bois. La foi se veut, sans surprise, l’un de ses moteurs d’inspiration sur les très explicites “Isaac’s Song” et “Abraham’s Song (Firebird)” (sur le Curtain Speech EP). Une étrange messe baroque se déroule, battue par des transes de percussions tribales rayonnantes (“Fire Of Birds)” ou allant jusqu’au simple clappement de mains (“Morning glory cloud”).

Dans le vieux manoir au bois dormant d’Heavy Ghost, la matière sonore reprend vie après des siècles d’oubli. L’orchestre fantasmagorique s’anime aux portes du délire : une guitare espagnole fauve, un piano grinçant réverbéré, des bruits électroniques et échantillons austères, d’un ensemble de cordes de violons et cuivres spectraux. “Thanksgiving Moon” donne le vertige comme dans une chanson de feu John Martyn nous ouvrant au karma effervescent de Pharoah Sanders. Sur “Braid Of Voices”, la plus poignante et sommet du disque, Stith s’épanche sur un piano tombant en poussière : il s’enfonce dans la pénombre, chute dans un vide cauchemardesque, et des choeurs damnées le poursuivent sur des rythmes tribaux. Difficile de se remettre de cette avant-dernière plage somptueuse, qui justifie à elle seule l’achat de ce disque où le temps semble s’être définitivement égaré.

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