Il se passe définitivement quelque chose du côté de Calgary. La coqueluche lo-fi du coin, Chad VanGaalen, y conçoit une pop vrillée fascinante.


A l’écoute de Diaper Island, dernière livraison en date du canadien Chad VanGaalen, il est difficile pour quiconque connaissant ses protégés Women de ne pas avoir en tête leur second opus Public Strain. L’un des meilleurs albums de 2010, en passant. Le maestro de la lo-fi étant aussi le producteur du quatuor arty rock – tous deux sont issus de la même ville Calgary -, il est aisé d’expliquer leur troublante similitude dans le son si intrigant des six-cordes électriques. Chad VanGaalen confesse même être tellement satisfait de sa collaboration sur Public Strain qu’il la considère comme la réalisation la plus aboutie à ce jour, ses propres albums compris. Mais sous-estimer, en conséquence, ses trois superbes précédents opus, est une erreur à ne pas commettre, d’autant que son dernier effort solo ratifie le talent conséquent du musicien – tant sur l’influence de Women que pour ses qualités intrinsèques de songwriter.

Artisan par excellence, Chad VanGaalen façonne depuis 2005 une esthétique très personnelle, singulier bazar de garage pop expérimental. Fait rare, son écriture s’est graduellement aiguisée, tout en préservant intactes ses tentations de chantiers soniques abstraits. De The Feelies à Robert Pollard jusqu’à récemment le prodigieux Ty Segall, le jeune trentenaire Chad VanGaalen appartient à cette caste de musiciens à l’éthique indépendante, dont la vision artistique est suffisamment aigüe pour ne pas vraiment éprouver le besoin de se remettre en question périodiquement, tout du moins d’un point de vue sonique. En revanche, chaque composition est à sa mesure un tour de force, pleine d’audaces et de guet-apens mélodiques.

Diaper Island ne diffère donc pas intrinsèquement de ses prédécesseurs : une collection de morceaux hétéroclites quoique pop car n’excédant pas trois minutes, habilement approuvés par une production « maison ». Peut-être serions-nous tentés d’avancer que Diaper Island est un album plus froid et minimaliste, voire brut dans sa conception. L’omniprésence, cette fois, de la guitare électrique, conserve à l’ensemble une certaine homogénéité rock au-delà des styles embrassés (country, folk, bricolages électroniques). Enregistrés dans la foulée de Public strain, les guitares et amplis de Women devaient encore trainer dans le bunker studio du producteur lorsque celui-ci décida de les réutiliser pour engendrer son manifesto. Chad VanGaalen n’avait qu’à se baisser pour récupérer ce grain si particulier – garage cérébral ? – qu’il avait lui-même contribué à façonner. Cette résonance électrique, à la fois claire et rêche, teintée d’une reverb sans âge, procure une équation pop mystérieuse, irrésolue.

On y entend des arpèges post punk (lorgnant vers du Magazine), presque math rock sur le fiévreux « Replace Me ». L’abstract pop de « Peace on the Rise » aurait pu quant à elle s’incruster sur Public Strain sans que personne ne s’en aperçoive. Au détour de petits hymnes champêtres sifflotés (« Heavy Stones », « Sara »), le bricoleur dans l’âme ne peut s’empêcher de se prêter au défi ludique des expérimentations, dans le cadre confiné de ses chansons : au hasard, les cœurs fantomatiques sur le frissonnant « Blonde Hash », ourlé d’un feedback désarçonnant. Il va sans dire que cette voix chevrotante fait merveille sur « Freedom for a Policement » avec son mimique synthétique quasi autiste et son refrain dignement power pop. On n’a pas fini de faire le tour de ce disque. Sans percer l’énigme de Public Strain, un de nos fétiches de l’an dernier (on insiste), Diaper Island en propose sa version pop dissonante, terriblement addictif.

Chad VanGaalen – « Burning Photographs »