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Connaissez-vous le chemin de San José, circa 1968 ? “Do You Know The Way To San Jose”, standard immortel de la paire suprême Burt Bacharach/Hal David interprété par la diva Dionne Warwick, indiquait la route paradisiaque de la sunshine pop (repris tout autant par Franky Goes to Hollywood que The Avalanche !). Une voie empruntée par quelques producteurs arrangeurs visionnaires, dont, entre autres, Jimmy Webb (Fifth Dimension, Glen Campbell), Bergen White (Elvis, Glenn Campbell, toujours) et, non des moindres, Burt Bacharach (Carpenters, Dusty Springfield…). En pleine ère faste de la pop musique, tous trois rivalisaient d’innovation dans les arrangements luxuriants, empruntant autant à la musique symphonique qu’à la bossa nova et le jazz. L’écriture pop – bubble-gum disait-on alors – était transcendée par une audace jusqu’alors inédite. D’autres formations éphémères (en omettant volontairement les plus grands) tels que The Millenium, Harpers Bizarre, Sagittarius et The Left Banke tentèrent de s’élever vers cet éden de la mélodie absolue.

Aujourd’hui, quelques esthètes américains en marge de la Côte Ouest continuent de chercher sur la carte la route de San José. Un peu sorti d’une pochette surprise à l’instar du phénoménal premier album de Jim Noir voilà deux ans, l’américain Brent Cash est inconnu au bataillon, mais son disque est désormais convoité par les fins gourmets amateurs de fantaisies très élaborées. Artisan multi-casquette (tour à tour compositeur, arrangeur et producteur), ce dandy au faux air de Burt Baccharach signe un premier album figé dans une brèche extra temporelle. En effet, How Will I Know If I’m Awake évoque pas moins que la sunshine pop sixties à son firmament. On ne sait que peu de choses sur ce résident d’Athens, si ce n’est que c’est Marina, label très sélect (Shack, The Pearlfischers et le meilleur Tribute aux Beach Boys à ce jour Caroline Now ! figurent à son tableau de chasse), qui a dégoté ce petit bijou orchestral. Doté d’une voix de saint ange, Cash compose sur un piano à queue d’immenses ballades romantiques, avec un sens de l’harmonie particulièrement précis, placé sous l’égide des trois grands nababs pop mentionnés plus haut. La rigueur portée aux arrangements est un pur nectar cru 68, saupoudré de clavecins easy listening, harpe, flûte, quatuor vocal, section de cuivres et violons ruisselants… Vue d’ensemble, cette fantaisie est trop cristalline et dessinée au trait fin pour approcher l’imposante chorale Mono symphonique de Spector. L’orchestre, constitué d’une vingtaine de musiciens locaux d’Athens, s’évertue à raviver cette émulation pop surannée que l’on croyait perdue : l’excellence de “Only Time” et ses roulements de tambours virant au “Up, Up and Away” de The 5th Dimension, “When The World Stop Turning” rempli de “bonnes vibrations”, le tour de force “This Sea, These Waves” avec ces accords bossa qui nous transportent sur les plages de Rio… Pas un seul instant, un geste déplacé ne nous ramène à l’effrénée course technologique du XXIe siècle. Pour aboutir à cette flânerie, on imagine le temps colossal passé à rassembler les pièces de ce puzzle, une par une, un rêve fou, mais éveillé. How Will I Know If I’m Awake porte définitivement bien son nom.

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Autrement plus extravagant, mais définitivement enraciné dans le rêve esthétisant sixties, Kelley Stoltz est dans son genre un illusionniste de premier plan. Disquaire le jour, musicien orfèvre et touche-à-tout la nuit, le san franciscain a déjà à son actif une bonne poignée d’albums derrière lui, dont les deux derniers bénéficient du parrainage de Sub Pop. Lorsque ses précédentes productions se voulaient des curieux artefacts lo-fi en l’honneur de Brian Wilson, sympathiques mais manquant un peu de caractère, Circular Sounds parvient enfin à se hisser un cran au-dessus. Notamment en élargissant son statut de simple recycleur de bon goût, à celui de professeur fêlé. Chantre d’une pop acidulée aussi baroque que bariolée, Stoltz n’adhère pas – comme il est pourtant de coutume dans le genre – au barda orchestral pour matérialiser sa folie créatrice. Alors qu’il pourrait manifestement se le permettre les doigts dans le nez. Seul maître à bord, Stoltz préfère jongler avec ses instruments dans un cadre lo fi bien délimité, ou « Nuggets » serait un terme plus approprié, ne dépassant rarement les trois minutes. Circular Sounds se rapproche pourtant incontestablement des symphonies pop de poche (le baroque et carillonnant “Everything Begins”, ou encore le charmant piano/folk bastringue “When You Forget”). Les structures mélodiques ont tendance à se torsader d’elles-mêmes et il faut serrer la ceinture pour parfois traverser ce grand huit psychédélique. Mais ses vignettes pop sont tellement compressées dans leur format qu’elles en deviennent universelles. Sur « The Birmingham Eccentric”, on prend de la hauteur en Platform Boots, brandissant une guitare fuzz irrésistible, très glam rock. Le loufoque “Gardenia” pourrait prétendre à une chute studio de Smile des Beach Boys. Révélant des trésors insoupçonnés à chaque nouvelle écoute, nous ne sommes définitivement pas prêts d’avoir fait le tour de Circular Sounds.

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Dernier virage avec le vétéran Eric Matthews, dont les trompettes liturgiques sonnent le printemps alors que quelques feuilles mortes n’ont pas encore été balayées sur le palier. Depuis son retour salutaire avec le théorique Foundation Sounds (2006), le multi-instrumentiste en col roulé œuvre en solitaire, comblant de ses propres mains toutes les pistes d’enregistrement et signant tous les arrangements de cordes et cuivres (mais néanmoins assisté de l’ingénieur/producteur Tony Lash, présent depuis l’album Cardinal). Si cet ancien élève du conservatoire de San Francisco fait désormais moins les choux gras des gazettes spécialisées que dans les années 90, il reste une valeur sûre, au songwriting infaillible. Avec ses progressions d’accords supérieures, l’immuable voix de velours restait jusqu’ici fidèle à une certaine conception lustrée de la pop. Quelques changements notables interviennent sur ce cinquième opus, avec l’intrusion d’éléments modernes perturbateurs, telle une boite à rythmes ultra cheap sur “That Kiss of Life” et “In Our Lives”, ou encore l’étrange alliance clavecin/programmation « lounge » sur “Fools”. De ce fait, un parfum mystérieux et attractif s’en échappe qui redonne un coup de fouet à son art (“Don’t Take Lights”, superbe mélancolie traversée de cordes révérencieuses). Et même si Matthews a le trait tiré sur le portrait faisant office de reliure du disque, le bientôt quarantenaire a gardé le réflexe vif lorsqu’il s’agit de ciseler une mélodie contre-pied éclatante (“Devil Red glow”). Du haut de ses treize compositions perfectionnistes, la leçon de songwriting de The Imagination Stage éveille les sens.

– Brent Cash, How Will I Know If I’m Awake (Marina/Differ-ant – 2008)

Sur le site de Marina Records et Myspace

– Kelley Stoltz, Circular Sounds (Sub Pop/Pias – 2008)

Le site officiel et Myspace

– Eric Matthews, The Imagination Stage (Empyrean Records/Differ-ant – 2008)

Le site officiel et Myspace