Deux albums attestent de la bipolarité du trio Nippon : electro pop esthétisante contre tsunami rock sursaturés. Le Yin et le Yang appliqué magistralement.


Plus prolifique que jamais, l’arrivée simultanée de deux albums de Boris est une réjouissante nouvelle. Car si ce genre de format protubérant annonce généralement son lot de déchets, il est connu que l’éclectique trio nippon ne fait jamais rien comme tout le monde. Citons à titre d’exemple une sixième collaboration aventureuse avec Merzbow, Klatter, et un New Album tendance electro, deux albums parus en mars dernier chez Daymare Recordings. On se concentrera essentiellement ici sur ces deux dernières sorties du label Sargent House, plus portées sur les chansons.
Enregistrés successivement dans le même studio, ces deux efforts se complètent judicieusement, tout étant antagonistes l’un pour l’autre. Heavy Rocks est l’homonyme d’un album du groupe sorti en 2002, plutôt « égo » centré sur l’orgie de décibels métallurgique, comme intitulé fièrement. D’obédience pop atmosphérique, Attention Please range momentanément au placard la panoplie virile, avec comme particularité d’être le premier album chanté par la guitariste Wata sur l’intégralité des dix compositions.

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Honneur au poids lourd : Heavy Rocks, par sa puissance dévastatrice, a été conçu dans la perspective d’actualiser sa version antécédente de 2002 au travers de 10 nouvelles compositions (le visuel original est d’ailleurs repris). Là où chez d’autres albums dédiés au genre Heavy la violence –aussi efficace soit-elle- ne laisse que peu d’espace à la profondeur, cette réévaluation se distingue par ses nuances électriques insoupçonnées. L’auditeur est d’emblée pris d’assaut par des riffs massifs et une batterie monumentale prompte à fendre l’océan en deux. La mise en son de cette déflagration (en bonne et due forme), et plus particulièrement l’agencement graduelle des strates de guitares, sont d’une précision chirurgicale. Il faut écouter en priorité Heavy Rocks au casque pour mesurer à quel point le trio nippon est un prodigieux architecte du grain de distorsion et de ses variantes infinies : le travail spectaculaire sur les drones s’avère en définitive aussi menaçant que l’arsenal binaire usuel exécuté à toute berzingue – notamment l’impressionnant déploiement de guitares sur « Riot Sugar », avec aux chœurs l’égosilleur vaudou Ian Astbury de The Cult, fort heureusement sous-mixé.
La science de Boris s’illustre considérablement sur « Missing Pieces », pièce progressive de douze minutes en trois actes, traversée à mi-parcours par un blizzard sidérant, avant de reprendre l’envol d’une mélancolie épique. Même dans un registre plus rock, l’ultra speed « Window Shopping », où s’immisce le chant langoureux et inaccessible de Wata, apporte ce je ne sais quoi en plus qui écarte le trio du rubicon Metal, tout en signifiant sa forte personnalité. Tout le génie de Boris repose là, dans cette capacité de s’émanciper des catégories, au gré de leur humeur et désir expérimental.

Place maintenant à un peu de légèreté dans ce monde de brutes… Tout aussi passionnant, Attention Please met en exergue la facette féministe voire sexuelle du trio, amplifiée par des nappes synthétiques calmes en apparence et par le chant lascif et envoûtant de Wata bien sûr. Les claviers ainsi mis en avant, la guitare opte plutôt pour une approche minimaliste (bien que la saturation persiste sur le très shoegaze « Hope », ou encore « Spoon »), esquissant des motifs aigus sur les horizons contemplatifs de « Tokyo Wonderland » et le morceau éponyme de l’album. Ces effets de manche finissent d’ailleurs par s’effacer d’ailleurs complètement sur le quasi ambiant « You ». Grâce à sa grande liberté d’action, le trio aborde ces deux extrêmes totalement désinhibé et s’en nourrit pour élargir sa vision, comme sur le très heavy et dansant « Party Boy » ou encore l’instrumental « Aileron », jolie errance à six-cordes cristalline (à écouter aussi, la version Heavy Rocks , d’une pesanteur abyssale). On ne peut s’empêcher de voir en Attention Please une réponse convaincante à Blonde Redhead (autre trio qui a pourtant exploré différents genres) dont les deux dernières tentatives électro se sont soldées par des échecs.

Après quelques disques un peu trop focalisés sur les explorations psyché/post-rock – même si toujours dignes d’intérêt –, Boris délivre coup sur coup deux disques majeurs dans sa discographie déjà conséquente. Deux disques obsédants, tels des faux jumeaux jouant le jeu trouble des faux-semblants. Destinés aux esprits ouverts.

En écoute : Boris – « Tokyo Wonder Land »


Boris – « Riot Sugar »