Réédition du chef-d’œuvre d’un histrion trash de Chicago : Bobby Conn l’inclassable, fils spirituel de John Waters et Iggy Pop.


Qui est Bobby Conn ? Excellente question. Ce n’est pas à travers ses bio de presse farfelues, rédigées personnellement par l’artiste, que le néophyte trouvera réponse sur ce personnage iconoclaste. Vétéran de la scène punk underground de Chicago, activiste sous son nom depuis plus d’une quinzaine d’années, Bobby Conn se fait notamment connaitre, au mitan des années 90, en dénonçant “The Continuous Ca$h Flow System », une critique surréaliste de la société américaine et de son mode de vie consumériste qu’il juge absurde, et dont il se présente lui-même comme le nouvel antéchrist. Sur scène, son discours prend des couleurs burlesques déconcertantes : déguisé à outrance avec ses musiciens, il électrise les foules lors de performances extatiques dans un ton proche du cabaret décadent, à la limite de l’avant-garde. Provocateur né, Bobby l’icon(n)e magnétise autant qu’il déstabilise son audience par sa verve nocive.

Grande nouvelle, son mythique Rise Up ! pièce maîtresse du puzzle, vient d’être réédité chez Fire Records. Paru originellement en 1998, ce second album, complètement passé inaperçu au moment de sa sortie, mérite aujourd’hui réhabilitation. Par sa folie et son ambition éclectique, Rise Up ! a gagné avec l’âge ses galons d’ovni inclassable, grand disque schizophrène sur le jugement dernier, symphonie glam-punk théorisant sur la manipulation religieuse et politique.
Pour édulcorer son discours, Bobby Conn fait montre d’un éclectisme musical proprement déconcertant. Son orchestre incontrôlable ne redoute pas de faire le grand écart entre Stravinsky et Hüsker Düe ; violons luxuriants pour comédie musicale « featuring » Barbara Streisand ; sprint de guitares lourdingues dégénérées ; sélection exhaustive de jazz, bossa, disco, glam rock, funk, hymne pop synthétique et l’on en oublie…. Surtout, on ne peut s’empêcher d’être fasciné par les stridulations décapantes, totalement hystériques de ce prodige du chaos. Arrive ce moment jubilatoire où la douce harmonie des cordes lustrées est inexorablement brisée par ses interventions vocales ubuesques. L’impression tendue d’assister, ahuri, à une séance de karaoké incongrue, avec un candidat désaxé, gesticulant à outrance, pathétique et vibrant dans l’émotion qu’il transmet. La musique passe au second plan, le magnétisme du crooner décadent détourne la pop de son contexte, la transformant en acte délicieusement perverti et engagé. Un immense tour de force.

Si, présenté ainsi, on peut émettre un doute sur la pertinence de l’orchestration, c’est pourtant faire fausse route. Rise Up ! est un disque subtilement orchestré par le génial multi-instrumentiste Jim O’Rourke, fidèle des fidèles, qui continuera de se distinguer régulièrement sur les albums de son ami. L’ex producteur de Wilco et Sonic Youth est l’homme de la situation lorsqu’il s’agit de missions impossibles, comme alterner avec brio un hymne disco décomplexé (“Rise Up”), un hommage soul aux comédies musicales façon John Waters (“White Bread”), ou encore un jazz vacillant, finissant dans le caniveau (“Passover” ).
Si, treize ans et quatre albums studio plus tard – Bobby Conn (1997), The Golden Age (2001), The Homeland (2004) et King For A Day (2007) – la folie de Bobby Conn sur disque s’est un peu atténuée, le panache et l’irrévérence sur scène demeurent intacts. En novembre dernier, l’homme, accompagné de son nouveau groupe, The Burglars, a donné un concert d’anthologie sur la scène du festival BBMix à Boulogne-Billancourt, interprétant quelques titres de Rise Up !. Ce soir-là, ce talent monstre, toujours prêt à régler ses comptes avec les valeurs de l’Amérique puritaine et conservatrice, avait outrageusement converti quelques âmes égarées.

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