Tout le monde parle de l’effervescence de la scène de Los Angeles. Mais gare à celle de New York, qui n’a pas dit son dernier mot. Avec les rénovateurs pop de Bear in Heaven, la bête bouge encore. Mieux, elle continue de marquer son territoire.


Après un an d’attente, débarque en France Beast Rest For Mouth, second album de ce trio brooklynois. Un retard qu’il faudra rattraper urgemment car, de l’autre côté de l’Atlantique, les éloges de la presse fusent à tout va. « L’ours au Paradis » a notamment été capturé en novembre dernier par le redouté webzine Pitchforkmedia, recevant la mention très convoitée de « Best New Music », assortie d’un joli 8.6/10. De quoi aimanter l’attention de nombre de webzines et blogs musicaux autour du globe — en dessous de 6,5/10, le groupe serait honteusement condamné à se terrer dans un trou comme Saddam Hussein. Quoique, dans ce cas précis, l’effet Pitchfork n’est pas toujours infaillible : l’album se voit distribué en France onze mois plus tard à l’occasion d’une réédition garnie de remixes. Si, malheureusement, le package Deluxe du label Hometapes Recordings (qui a déniché la folktronica ingénieuse de Brad Laner notamment) est anecdotique, il n’empêche en rien de se concentrer sur l’album, nettement plus essentiel.

À en juger par leur maigre discographie depuis leur formation en 2003 — un album et une poignée de singles jusque-là — on pourrait croire que nos chers Ours ont traversé de longues périodes d’hibernation. La raison première en est que le trio, emmené par le chanteur et multi-instrumentistes Jon Philpot (ex Presocratics) a régulièrement connu quelques remaniements. Dernier en date, le départ en 2007 du bassiste James Elliott, pour les plus en vue (voire agréables du regard, ne le nions pas) School of Seven Bells. Aujourd’hui, le groupe évolue en trio (pour la partie studio), une formule qui lui convient mieux à en juger par la qualité canalisatrice de ce second album, révision moderne des genres psyché-progressif, de krautrock et de pop new wave. Fatalement, la comparaison n’échappe pas à l’implantation new-yorkaise du groupe. Bear in Heaven se pose au carrefour des trois figures locales : melting-pot sonique à la TV on the Radio, Blob synthétique en fusion façon Animal Collective et grosses percussions en mode touareg fissa Yeasayer (notamment sur le vibrant « Dust Cloud »)… Et si, effectivement, Bear in Heaven n’est pas exempt des oripeaux de références, le groupe a suffisamment de ressources et d’ingéniosité pour s’en extirper. Notamment grâce au chant cristallin de Jon Philpot (magnétique sur “Wholehearted Mess”, “Lovesick Teenagers”).

Toute pop arty n’exclut pas une certaine rigueur mélodique. En attestent les groupes mentionnés ci-dessus, New York peut se targuer d’avoir de grands chanteurs au sein de sa scène rock défricheur. La voix cristalline et saillante de Jon Philpot le confirme, survolant magistralement les périlleux agencements de couches synthétiques. Un magma électrique, fomenté autour de nappes vibrantes et de guitares verticales élégiaques, agencées par ses comparses Adam Wills (guitare, claviers) et Joe Stickney (batterie). Dès l’entrée en matière, la tension maîtrisée de « Bear In Peace », le trio donne à entendre sa supériorité : un tintamarre percussif façon tambours du Bronx, progressant (voire basculant) vers un rock païen élévateur. On peut donc discuter sur certaines accointances, il n’empêche que Beast Rest For Mouth, c’est peu de le dire, a de la gueule.

– Site officiel du label Hometapes

– Site officiel

– « Beast In Peace » sur YouTube :