Sous exposé et confidentiel sur nos terres, l’Irlandais Adrian Crowley dévoile néanmoins un septième effort au long cours, où le crooner diffuse sa mélancolie et exalte notre imagination.


Natif de Sliema – Malte – mais élevés à Galway sur la côte ouest de l’Irlande, Adrian Crowley a bien bourlingué. Son baluchon débordant de spleen, chaque étape depuis 1999 et son premier opus A Strange Kind, est l’occasion d’un récital en clair-obscur. Crowley chante, se perd et se retrouve, au détour de chansons désenchantées, raffinées et soignées. La sève, invisible, coule pourtant à flot au sein de ses compositions. Mais l’enveloppe musicale est ténébreuse. La preuve en paroles et musiques : en 2012 il y distille sa tristesse sur le revendiqué « The Saddest Song » extrait de son sixième album I See Three Birds Flying.

Some Blue Morning synthétise tout son savoir-faire. Ne ratons pas le coche, car Crowley y délivre bon nombre de pépites intimistes du plus bel ouvrage. Très classe, son folk atmosphérique et cinématographique produit des merveilles. On succombe à cette mélancolie. Crooner introspectif à la voix de baryton, il rejoint dans notre panthéon musical une flopée d’amis. La liste est conséquente ! Tel un trésor caché on la chérit ! Leonard Cohen et Scott Walker pour les pères tutélaires que l’on associera pour le meilleur et dans le désordre à Lee Hazlewood, Stuart Staples (Tindersticks), Taylor Kirk (Timber Timbre), Richard Hawley, Bill Callahan, Michael J. Sheehy, Josh Haden, Paul Buchanan, … Tous tiennent une place de choix dans notre cÅ“ur. Choyés et préservés dans un recoin secret et ombrageux de notre âme, on espère secrètement qu’ils conserveront ce spleen si spécial qui fait le sel de leur musique.

Cette mélancolie exerce un fort pouvoir d’attraction. Le champ de force est puissant.
Adrian Crowley est porteur de ce magnétisme. « Some Blue Morning », chanson éponyme, et premier morceau de cet opus, suggère un sentiment d’espoir et un optimisme insoupçonné, appuyé en cela par la voix calme et profonde de Crowley et les cÅ“urs féminins et angéliques de la chanteuse Katie Kim. Le rythme crescendo est assuré par le violoncelle de Kevin Murphy. Le sortilège se poursuit avec le cinématographique et scénique « The Hungry Grass ». Notre esprit dérive et vagabonde au gré de la musique qui se fait épique mais tout en retenue. Tout concourt au rêve et à l’espoir. Une des réussites de cet album. Dans la même veine, le morceau « The Magpie Song » (la chanson de la pie) s’appuie sur les superstitions ancestrales de cet oiseau annonciateur d’accidents de douleurs et de maladies. Crowley y déclame son présage: « the magpie called my name / called my name». Sa voix s’éclipse à mi-parcours, les parties de violon d’Emma Smith mêlées aux cÅ“urs célestes de Katie Kim prennent sa suite pendant de longues secondes. L’effet est garanti, la superstition fait son Å“uvre !

Crowley est un conteur. Il nous fait la conversation. Avec sa guitare et ses textes très personnel « The Stranger » et « Trouble » ajoutent un pan à l’édifice. Les instruments à cordes fournissent idéalement le liant nécessaire à la prise. Suit « The Gift » très court instrumental et annonciateur de l’inquiétant « The Angel » unique morceau de cet opus à tambouriner par intervalles un tempo plus cadencé. Les trois violoncelles – Kevin Murphy, Alex Beaumont, Michelle SO – associés à l’incandescent tympanon de Ted Barnes s’en donnent à cÅ“ur joie. Le danger guette, la prophétie s’annonce, l’avenir sera funeste !

Une autre influence s’exprime à l’écoute de Some Blue Morning. Cocorico, elle est française ! Le grand Serge a largement étendu on le sait son influence outre atlantique. Le morceau « Follow if you must » la condense. Le duo de voix Crowley/ Kim l’exprime à merveille et renvoie même à l’adaptation non sous-titrée de Mick Harvey ex Bad Seeds reprenant Gainsbourg.

Puis survient un moment spécial, « The Wild Boar » (le sanglier), ou huit minutes d’un spoken – word littéraire et mystique que l’on suppose faire indirectement référence à une mythologie celtique. On plonge sans délai dans cette parabole. L’orchestration sobre, acoustique et splendide emmène le récit à sa fin. Jamais on ne décrochera !
L’album se clôt sur deux perles, l’une intimiste et magnifique – « The Hatchet Song » – probablement la plus mélancolique et paisible du lot, puis sur le romantique et suranné duo « Golden Palominos ». Tout est parfait.

Havre de paix et parenthèse magique, Some Blue Morning est une halte salvatrice et réparatrice sur la voie rapide du temps qui file. La sortie est fortement recommandée. La mélancolie y rencontre l’espoir, les mythes y côtoient les contes et l’imagination s’emballe.