Originaire de Philadelphie, le tourmenté Tim Showalter révèle d’étonnantes accointances avec l’americana atmosphérique de The War on Drugs.


Les baroudeurs du rock ont la cote ces temps-ci. Les magnifiques albums de Peter Matthew Bauer, Israel Nash et The War on Drugs en attestent, chacun empruntant à leur manière la freeway pour un grand voyage introspectif sur les routes de l’Americana. Une voie si encombrée que nous n’avions pas vu arriver au bout de l’horizon la rutilante DeLorean de Strand of Oaks. Derrière ce nom se cache le projet musical conduit par un seul homme, Tim Showalter. Secret bien gardé en Pennsylvanie, ce philadelphien a déjà enregistré quelques disques habités d’un folk rudimentaire et d’une vibrante sincérité, hélas passés inaperçus en France jusqu’ici. Enfin jusqu’à ce quatrième album, Heal, qui emprunte un virage électrique inédit dans sa carrière, au point de titiller l’oreille du label Dead Ocean, beau refuge de talents inclassables – Phosphorescent, Destroyer, Akron/Family… – qui l’accueille à bras ouverts, et lui offre un tremplin international bien mérité.

Serait-ce de l’Americana synthétique ? Du Joy Division perdu dans le désert de Mojave ? Ou bien Suicide rattrapé par le spleen de Big Star ? Il y a un peu de tout ça chez Strand of Oaks, assurément, mais pas seulement. Heal est un disque d’adult rock, situé pas forcément là où on l’attendait. Sous ses apparences de hard rocker tatoué à la barbe virile, Tim Showalter était un songwriter qui se singularisait par son chant désolé. Il se double désormais d’un habile expérimentateur. Ce quatrième opus en reflète l’étonnante mue artistique. La guitare sèche pour l’heure rangée dans l’étui, Stand of Oaks signe un effort collectif, bien entouré par les meilleurs musiciens de la scène de Philadelphie, croisés aux côtés de Kurt Vile, The War on Drugs ou encore le power trio Purling Hiss. Et cela s’entend, Heal révèle une synthèse inédite de ces trois formations, surtout les deux premières: chacune des dix compositions façonne un son dense et cathartique, au carrefour de guitares électriques bouillonnantes et de nappes atmosphériques analogiques poussées dans le rouge.

Placé en première ligne, le bien épais « Goshen ’97 » avec son impressionnant mur de guitares saturées et son spectaculaire solo aux dérapages de bends contrôlés – signé par l’inimitable J. Mascis – n’est pourtant pas représentatif du reste l’album, d’humeur nettement moins conquérante. Chantés à fleur de peaux, les poignant et introspectifs « Woke up to the Light », « Mirage Year », ou encore le final « Wait For Love » se posent quelque part entre Bon Iver et The War on Drugs . D’ailleurs, tout comme son confrère Adam Granduciel de WOD, Tim Showalter ne cache pas l’influence de l’idole du New Jersey, Bruce Springsteen. Mais attention, il ne s’agit pas du « Bruce » des stades jouant les gros bras, mais plutôt celui intimiste et bouleversant d’ »I’m on Fire » et de Nebraska.

Une autre figure, et non des moindres, est célébrée sur le poignant « JM », livré sur quelques accords crus de guitares électrique au relents de Zuma. Ces initiales ne sont pas celles du leader de Dinosaur Jr., mais feu Jason Molina de Magnolia Electric Co, tragiquement disparu l’an dernier. Cet hommage sensible et sincère finit de rendre infiniment sympathique Strand of Hoaks, qui vient fièrement grossir les rangs de cette décidément talentueuse scène de Philadelphie.